Théophile de Viau


À Monsieur de L. sur la mort de son père

Ode


Ôte-toi, laisse-moi rêver.
Je sens un feu se soulever
Dont mon âme est toute embrasée.
Ô beaux prés, beaux rivages verts,
Ô grands flambeaux de l’univers,
Que je trouve ma veine aisée !
Belle Aurore, douce rosée,
Que vous m’allez donner de vers !
 
Le vent s’enfuit dans les ormeaux,
Et pressant les feuillus rameaux
Abat le reste de la nue ;
Iris a perdu ses couleurs ;
L’air n’a plus d’ombre, ni de pleurs ;
La bergère, aux champs revenue,
Mouillant sa jambe toute nue,
Foule les herbes et les fleurs.
 
Ces longues pluies dont l’hiver
Empêchait Tircis d’arriver
Ne seront plus continuées ;
L’orage ne fait plus de bruit ;
La clarté dissipe la nuit,
Ses noirceurs sont diminuées,
Le vent emporte les nuées,
Et voilà le soleil qui luit.
 
Mon Dieu, que le soleil est beau !
Que les froides nuits du tombeau
Font d’outrages à la nature !
La mort, grosse de déplaisirs,
De ténèbres et de soupirs,
D’os, de vers et de pourriture,
Étouffe dans sa sépulture
Et nos forces et nos désirs.
 
Chez elle les géants sont nains,
Les Mores et les Africains
Sont aussi glacés que le Scythe,
Les Dieux y tirent l’aviron,
César, comme le bûcheron,
Attendant que l’on ressuscite,
Tous les jours au bord du Cocyte
Se trouve au lever de Charon.
 
Tircis, vous y viendrez un jour ;
Alors les Grâces et l’Amour
Vous quitteront sur le passage,
Et dedans ces royaumes vains,
Effacé du rang des humains,
Sans mouvement et sans visage,
Vous ne trouverez plus l’usage
Ni de vos yeux ni de vos mains.
 
Votre père est enseveli,
Et dans les noirs flots de l’oubli
Où la Parque l’a fait descendre,
Il ne sait rien de votre ennui,
Et, ne fût-il mort qu’aujourdhui,
Puisqu’il n’est plus qu’os et que cendre,
Il est aussi mort qu’Alexandre
Et vous touche aussi peu que lui.
 
Saturne n’a plus ses maisons,
Ni ses ailes, ni ses saisons :
Les Destins en ont fait une ombre.
Ce grand Mars, n’est-il pas détruit ?
Ses faits ne sont qu’un peu de bruit.
Jupiter n’est plus qu’un feu sombre
Qui se cache parmi le nombre
Des petits flambeaux de la nuit.
 
Le cours des ruisselets errants,
La fière chute des torrents,
Les rivières, les eaux salées,
Perdront et bruit et mouvement ;
Le soleil, insensiblement
Les ayant toutes avalées,
Dedans les voûtes étoilées
Transportera leur élément.
 
Le sable, le poisson, les flots,
La navire, les matelots,
Tritons, et Nymphes, et Neptune
À la fin se verront perclus ;
Sur leur dos ne se fera plus
Rouler le char de la Fortune,
Et l’influence de la lune
Abandonnera le reflux.
 
Les planètes s’arrêteront,
Les éléments se mêleront
En cette admirable structure
Dont le Ciel nous laisse jouir.
Ce qu’on voit, ce qu’on peut ouïr,
Passera comme une peinture :
L’impuissance de la Nature
Laissera tout évanouir.
 
Celui qui, formant le soleil,
Arracha d’un profond sommeil
L’air et le feu, la terre et l’onde,
Renversera d’un coup de main
La demeure du genre humain
Et la base où le ciel se fonde :
Et ce grand désordre du monde
Peut-être arrivera demain.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Lа Fоntаinе : Lа Сigаlе еt lа Fоurmi

Βоilеаu : Sаtirе ΙΙ : «Rаrе еt fаmеuх еsprit, dоnt lа fеrtilе vеinе...»

Τоulеt : «Τrоttоir dе l’Élуsé’-Ρаlасе...»

Τоulеt : «Qui dirа, dаns l’оmbrе du bоis...»

Dеsbоrdеs-Vаlmоrе : Lе Ρuits dе Νоtrе Dаmе à Dоuаi

Сеndrаrs : L’Οisеаu blеu

Lесоntе dе Lislе : Αuх mоdеrnеs

Νоuvеаu : Μusulmаnеs

Τоulеt : Lа prеmièrе fоis.

Τоulеt : «Dоuсе plаgе оù nаquit mоn âmе...»

☆ ☆ ☆ ☆

Hugо : Fаblе оu Histоirе

Gоurmоnt : Lеs Fеuillеs mоrtеs

Hugо : «L’hirоndеllе аu printеmps сhеrсhе lеs viеillеs tоurs...»

Rоnsаrd : L.Μ.F.

Ρéguу : Ρаris dоublе gаlèrе

Klingsоr : Αu јаrdin dе mа tаntе

Νоuvеаu : Αvаnt-prоpоs

Vеrlаinе : Βаllаdе à prоpоs dе dеuх Οrmеаuх qu’il аvаit

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur Lеs Μоntrеurs (Lоrrаin)

De Сосhоnfuсius sur Τsillа (Sаmаin)

De Сосhоnfuсius sur Lа Νуmphе еndоrmiе (Sсudérу)

De Сurаrе- sur «À bеаuсоup dе dаngеr еst suјеttе lа flеur...» (Сhаssignеt)

De Сhristiаn sur Lа Сhаpеllе аbаndоnnéе (Fоrt)

De Huаliаn sur Lа prеmièrе fоis. (Τоulеt)

De Сurаrе- sur «Μоn insоmniе а vu nаîtrе lеs сlаrtés grisеs...» (Gаrnеаu)

De Сurаrе- sur Lе Rоi dе Τhulé (Νеrvаl)

De Βеrgаud Α sur Lеs Gеnêts (Fаbié)

De Jаdis sur «Τоut n’еst plеin iсi-bаs quе dе vаinе аppаrеnсе...» (Vаlléе dеs Βаrrеаuх)

De Ιоhаnnеs sur Ρrièrе dе соnfidеnсе (Ρéguу)

De Lilith sur Vеrlаinе

De Μоntеrrоsо sur Lа Μоuсhе (Αpоllinаirе)

De Jаdis sur Саrоlо Quintо impеrаntе (Hеrеdiа)

De Сhristiаn sur Sоnnеt : «Un livrе n’аurаit pаs suffi...» (Ρrivаt d'Αnglеmоnt)

De Βib lа bаlеinе sur À unе mуstériеusе (Rоllinаt)

De Αlbаtrосе sur «Dоuсе plаgе оù nаquit mоn âmе...» (Τоulеt)

De Gеf sur À Μ. Α. Τ. : «Αinsi, mоn сhеr аmi, vоus аllеz dоnс pаrtir !...» (Μussеt)

De Gеf sur Villеs : «Се sоnt dеs villеs !...» (Rimbаud)

De Jаdis sur Τаblеаu (Сrоs)

De Βibоsаurе sur À Αlf. Τ. : «Qu’il еst dоuх d’êtrе аu mоndе, еt quеl biеn quе lа viе !...» (Μussеt)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе