André Theuriet


Manoir breton


 
Comme on trouve en plein roc des eaux vives encloses
Dont la fraîcheur nourrit les herbes des sentiers,
Il est des lieux aussi que les larmes des choses
D’une morne tristesse imprègnent tout entiers.
 
Le vieux manoir perdu dans la lande bretonne,
Parmi les chênes verts où soupire le vent,
Chère, tu t’en souviens ?... Durant les soirs d’automne
Nous en avons tous deux reparlé bien souvent.
 
Les rares visiteurs qui longent l’avenue
Ont l’air de revenir d’un monde d’autrefois,
Tant la molle épaisseur de la mousse atténue
La rumeur de leurs pas et le son de leur voix.
 
Le double arceau tréflé d’un portail en plein-cintre
Laisse voir, comme au fond d’un grand cadre sculpté,
Un calme intérieur qui ravirait un peintre
Par sa grâce pensive et son intimité.
 
Une vigne a grimpé jusqu’aux lucarnes hautes
De l’escalier de bois dont les ais vermoulus,
En criant sous les pieds, font repenser aux hôtes
Qui jadis y montaient et qu’on ne verra plus.
 
Le colombier rustique où vibre un frisson d’ailes,
Les cyprès du jardin, la grille aux gonds rouillés,
Tout parle en ce logis de souvenirs fidèles
Et lointains, qu’on évoque avec des yeux mouillés.
 
Veuve et de noir vêtue, à la mode ancienne,
Conversant à mi-voix comme au chevet d’un mort,
La dame du manoir, taciturne gardienne,
Veille pieusement sur ce passé qui dort.
 
L’âpre vent de la mer, qui souffle sur la lande,
Lui murmure à travers l’abri des pins mouvants
Un chant plaintif et doux comme un air de légende,
Mais ne lui porte plus les clameurs des vivants.
 
La maison est vouée à la mélancolie.
Les arbres et les murs semblent remémorer
Quelque histoire d’amour dans l’ombre ensevelie,
Et se vêtir de deuil afin de la pleurer.
 
L’image des objets dans les sources dormantes
Tremble comme un reflet mourant des jours défunts,
Et dans l’eau des fossés, les baumes et les menthes,
Comme en un rêve, ont l’air d’exhaler leurs parfums.
 
Les fleurs du jardinet : roses et citronnelles,
Œillets et liserons sur le sol répandus,
Ont ces regards navrés qu’on lit dans les prunelles
D’un ami survivant à ses amis perdus.
 
Dans le salon désert, sous les lambris de chêne,
Il semble qu’on entend chuchoter faiblement
D’étranges voix du temps jadis. — Sur le domaine
L’âme du souvenir plane éternellement.
 
On cherche à deviner la douloureuse histoire
Dont ce logis en deuil fut le muet témoin ;
Mais, sourde aux questions, la veuve en robe noire
Seule en sait les détails et ne les redit point...
 
Attiré cependant par cette énigme obscure,
Avec toi j’ai tenté d’en percer le secret ;
Chère femme, ton cœur fertile en conjecture
Dissipait lentement l’ombre qui l’entourait.
 
Ainsi recomposant l’intime tragédie,
Replaçant les héros dans leur cadre ancien,
J’ai refait leur histoire, et je te la dédie,
Ô femme ! C’est ton livre encor plus que le mien.
 
Prends-le donc. Puisse-t-il, durant les soirs d’automne,
Te rapporter comme un cordial simple et fort
La pénétrante odeur de la lande bretonne,
Cette terre où l’Amour est vainqueur de la Mort.
 

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