Jules Supervielle

Débarcadères, 1922


Le Retour


 
Le petit trot des gauchos me façonne,
les oreilles fixes de mon cheval m’aident à me situer.
Je retrouve dans sa plénitude ce que je n’osais plus envisager, même par une petite lucarne,
toute la Pampa étendue à mes pieds comme il y a sept ans.
Ô Mort ! me voici revenu.
J’avais pourtant compris que tu ne me laisserais pas revoir ces terres, une voix me l’avait dit qui ressemblait à la tienne, et tu ne ressembles qu’à toi-même,
et aujourd’hui, je suis comme ce hennissement qui ne sait pas que tu existes ;
je trouve comique d’avoir tant douté de moi et c’est de toi que je doute, ô Surfaite,
même quand mon cheval enjambe les os d’un bœuf proprement blanchis par les vautours et par les aigles,
ou qu’une odeur de bête fraîchement écorchée me tord le nez quand je passe.
Je fais corps avec la Pampa qui ne connaît pas la mythologie,
avec le désert orgueilleux d’être le désert depuis les temps les plus abstraits,
il ignore les Dieux de l’Olympe qui rythment encore le vieux monde.
Je m’enfonce dans la plaine qui n’a pas d’histoire et tend de tous côtés sa peau dure de vache qui a couché dehors,
et n’a pour végétation que quelques talas, ceibos, pitas,
qui ne connaissent le grec ni le latin,
mais savent résister au vent affamé du pôle,
de toute leur vieille ruse barbare
en lui opposant la croupe concentrée de leur branchage grouillant d’épines et leurs feuilles en coup de hache.
Je me mêle à une terre qui ne rend de comptes à personne et se défend de ressembler à ces paysages manufacturés d’Europe, saignés par les souvenirs,
à cette nature exténuée et poussive qui n’a plus que des quintes de lumière,
et, repentante, efface l’hiver ce qu’elle fit pendant l’été.
J’avance sous un soleil qui ne craint pas les intempéries,
et se sert sans lésiner de ses pots de couleur locale toute fraîche
pour des ciels de plein vent qui vont d’une fusée jusqu’au zénith,
et il saisit dans ses rayons, comme au lasso, un gaucho monté, tout vif.
Les nuages ne sont pas pour lui des prétextes à une mélancolie distinguée,
mais de rudes amis d’une autre race, ayant d’autres habitudes, avec lesquels on peut causer,
et les orages courts sont de brusques fêtes communes
où ciel, soleil et nuages
y vont de bon cœur et tirent jouissance de leur propre plaisir et de celui des autres,
où la Pampa
roule ivre-morte dans la boue palpitante où chavirent les lointains,
jusqu’à l’heure des hirondelles
et des derniers nuages, le dos rond dans le vent du sud,
quand la terre, sur tout le pourtour de l’horizon bien accroché,
sèche ses flaques, son bétail et ses oiseaux
au ciel retentissant des jurons du soleil qui cherche à rassembler ses rayons dispersés.
 

Janvier 1920

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