André Suarès


Message de Pâris

Dévoré d’ardeur et d’ennui, je dors dans ma pensée comme dort au soleil un pont sur un fleuve à sec. Pourquoi, Hélène, mêles-tu l’ennui à l’ardeur ? Le profond ennui que tu me donnes me rend la bouche si dure que mes dents percent sur mes lèvres ; tu perds les caresses de mon ardeur : car j’ai peur pour toi : ce serait des morsures. Et tu dis alors que je ne t’aime plus.

Comme le diamant ne s’use qu’à la lime de sa propre poussière, ainsi, mon amour use mon amour. Mais cette poussière vient de toi, Hélène ; c’est toi qui fais cette limaille corrosive.

 

Entre amants, il n’y a que les coups et les caresses. Tout ce qui n’est pas baisers fait blessures. Et plus que tout, plus que les poings, plus que les mains ferrées de couteau, les paroles blessent.

Les amants sont engrenés pour jamais chair à chair. La parole de l’Écriture est imprescriptible, qu’elle bénisse ou qu’elle tombe à malédiction : voici la chair de ma chair.

Quand tous les ressorts ne s’entendent pas, joint à joint, la vie de l’un fait scie de toutes ses dents sur la vie de l’autre.

À la fin, cet homme et cette femme qui se sont aimés, ne sont plus qu’une plaie qui suppure de rancune, ou deux ruines affamées, couturées en tous sens de marques et de cicatrices. Les pires blessés, ceux qui s’aiment encore en se blessant, et ne cessent pas de se blesser tout en s’aimant. Pour les cœurs profonds, il n’est pas de divorce.

 

Souvent, tu m’as pris dans tes bras, Hélène, et tu m’y as tenu encore blessé de tes coups et battu de tes vaines tempêtes. Combien de fois tu m’as serré sur ta gorge, plus absent et plus froid qu’un mort. Que ma chair sensuelle était loin, et tu t’en doutais à peine.

Tu avais déchiré ma vie, et tu ne possédais que mon ombre. Imprudente ! Par la plaie que tu avais ouverte, par delà ma dépouille rigide, mon âme pleine du dégoût sans bornes et sans paroles que la volupté périssable inspire, s’était rendue dans la clairière au bois des pleurs, sous les pins lunaires du souvenir. Tu croyais me tenir ! Et mon âme, changeant d’exil, était couchée dans la sainte prairie des larmes, près de ses sœurs immortelles, la Vie Perdue, la Passion dans la Douleur et la Contemplative Psyché dont le vent de terre a éteint la lampe. Tu parlais ; tes dents baisaient mes lèvres, et tes lèvres mordaient. Mais moi, dans la contemplation suprême, je trouvais l’unique consolation qui est de n’en plus chercher, parmi les fleurs sanglantes, toutes les flammes du cœur, qui n’ont pas plus d’un jour et qu’il veut éternelles.

Hélène, Hélène, qu’as-tu fait ? Il ne fallait pas exciter en moi le vent de la puissance qui dévaste. Il s’est levé, le noroît terrible de l’ennui.

Ô déesse, pourquoi t’ai-je tant aimée ? Tu n’es plus qu’une femme.

Pâris t’envoie un message : Ma vie est perdue. Quoi de plus affreux que de se dire : ma vie est perdue ? — Elle est perdue, Hélène ! Et toi aussi, ma beauté : tu t’en vas, tu descends la pente : tu touches à ta perte.

La lampe ovale de la lune est haute dans le ciel. En vérité, le fond de la mer se révèle. L’écaille noire de l’océan laisse couler son silencieux trésor de perles. Et les rocs s’enfoncent, à l’ancre de la nuit.

La mer monte et la grève recule. Les rocs ont de l’écume jusqu’au ventre, et le violent baiser d’eau cache leurs mains de laboureurs posées sur leurs genoux.

Es-tu celle à qui l’on ne veut pas parler, mais que l’on désire, pour s’y confondre ? — La mer monte et crie fort.


Hélène, 1907

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