Fumées, 1910
*
Le brouillard fondu
Prend les arbres nus
Dans sa molle haleine.
Le jardin frileux
Sous un voile bleu
Se devine à peine.
Le soleil blafard
Résout le brouillard
En perles d’eau blanche
Dont le tremblement
Miroite et s’étend
À toutes les branches.
*
L’azur d’un soir gris.
Un vague arc-en-ciel s’allonge et verdit
Sur la côte obscure ;
Sa courbe légère et rose grandit
De plus en plus pure.
À l’endroit où l’arc suave incliné
Rejoint la colline,
Les arbres d’hiver prennent sa clarté,
Dans leurs branches fines.
*
Un oiseau chante comme une eau
Sur des cailloux et des pervenches.
Quelle odeur de printemps s’épanche
De cette pure voix d’oiseau !
*
Le paysan vieux et cassé
Rejoint son obscure chaumine
Qui somnole sur la colline
Dans le velours tendre d’un pré.
Il voit d’en bas tourner le chien
Et la lueur d’un jeune pin
Se détacher doucement verte
Dans l’ombre de la porte ouverte.
*
L’homme et son fils menant leur vache d’un pas lourd
S’en vont sur le chemin luisant encor de pluie.
Un soleil velouteux et gris de petit jour
Enveloppe en rêvant la montagne endormie.
La vache dit adieu à son dernier matin :
Plus jamais le pré vert où sautait sa mamelle
Lourde et riche à plaisir d’un printanier butin.
Pourtant, que cette aurore a l’air d’être éternelle !
*
La lune pâle, rêveuse
Et transparente à demi,
Glisse sur la vaporeuse
Douceur d’un ciel endormi.
Dans les branches dénudées
Et si grêles d’un bouleau
Une lueur irisée
Incline ses calmes eaux.
C’est l’hiver et sa tristesse
Avec de muets oiseaux
Se berçant à la sveltesse
Sans feuillage des rameaux.
*
Homme au grand chapeau tombant,
À la figure flétrie,
Quelle étrange horlogerie
Vous fait aller titubant ?
Quel cœur dans votre poitrine
Éveille des souvenirs ?
Voyez-vous l’ombre divine
De la lune revenir,
Ou bien n’êtes-vous qu’un rêve
Flottant en vagues habits
À travers les heures brèves
Et sous les ciels engourdis ?
*
J’ai vu ce matin la lune
Pâle dans les longs bouleaux
Et cette image importune
Reviendra dans mon cerveau.
Elle viendra persistante
Comme un avertissement
Dans un rêve qui me hante,
Et j’ai le bref sentiment
Qu’au jour de ma destinée
Dans un bouleau langoureux
Luiront nettement les feux
De cette lune obstinée.
*
Voici des enfants qui passent
Et qui gardent dans leurs cœurs
Le trouble des doux espaces
Où la nature est en fleurs.
De la terre abstraite et pâle
Auront-ils d’autres lueurs
Que cette heure matinale
Qui s’embrume dans leurs cœurs ?
Plus tard à l’ombre assoupie
D’indifférence où l’on meurt,
Ils ne verront de leur vie
Qu’un bref espace et ces fleurs.
*
Ils vivent, Dieu, ils respirent,
Des femmes vont leur sourire.
De quel pâle souvenir
S’aideront-ils pour mourir ?
Ah ! que le cœur enfantin
Des hommes est tendre encore
Quand monte l’aurore
Du dernier matin !
Vers quel bercement de femme
Se retournent-ils alors ?
Ô pauvre homme, tu t’endors
Et quelle nuit te réclame !
*
Ne cherche pas de tes mains
À raccrocher la lumière,
Personne ne te retient
Et cette heure est la dernière.
Ta mère est morte elle aussi.
Te revois-tu tout petit ?
Que la pelouse était verte
Sous les fenêtres ouvertes !
*
C’est lorsque l’abeille
Se balance sur les fleurs,
C’est lorsque s’éveille
Du silence et de l’odeur
Une mélodie
Fluide comme l’air pâli
Où l’ombre et la vie
S’assoupissent à demi...
*
Regarde sous ces rameaux
Où murmurent les oiseaux
Toutes ces croix alignées :
Ce sont les tristes épées
Qui nous fixeront au sol ;
Et pourtant, ce rossignol...
*
Âme profonde et tranquille,
Tu vois les monts et la ville
D’un même grave regard.
Dans la mousseline blanche,
Rêveusement tu te penches
Sur le fond gris du brouillard.
La lune qui se balance
Est partie avec silence
De l’arbre humide et fumeux ;
On n’entend rien de la plaine
Que la rumeur incertaine
Des hommes vivant entre eux.
*
Marécageuse humanité
Dont la voix au loin murmure
Pareille aux crapauds secrets
De l’étang sous la verdure,
Pince tes violons clairs ;
Ton chant est vide et si triste
D’être habituel dans l’air
Comme un rythme qui persiste.
*
La ville sous la fumée
Du soir et des cheminées
Flotte en un rêve étranger
Et s’efface. Son église
De fines colonnes grises,
Pareilles aux pins légers,
Sur le fond de la colline
Grandit, sans âge et divine
Dans le soir désespéré.
*
Ainsi, voilà l’espace où ma vie a tourné,
Ces monts, ces arbres sombres.
C’est pour ces incidents si vains et si légers
Que je sortis des ombres,
Pour cette humble fenêtre où l’azur assoupi
Balance des abeilles,
Pour ces rêves menus dont mon cœur endormi
A caressé ses veilles.
Je n’étais que cela, je ne suis que cela,
Ô ma vie isolée,
Et le temps a choisi d’acheminer mes pas
Au sein de ces vallées.
Adieu le souvenir, adieu toutes saisons
Mauvaises ou joyeuses ;
Le jour passe et je donne aux brises du gazon
Mon âme harmonieuse.
*
Donnez-moi le souvenir
Des plus jeunes matinées,
Grêles feuilles satinées
Qui vous bercez à plaisir.
Donnez-moi cette harmonie
Où vos rameaux endormis
Dans les brises assouplies
Se réveillent à demi.
Que ne suis-je l’oiseau calme
Qui descend l’escalier vert
De vos élastiques palmes
Où glisse le ciel désert !
*
Les moutons, le chien, la bergère
Passent ; la lune, le vent
Et les ramures légères
Accompagnent lentement
Leur fuite jusqu’au tournant.
*
Dans l’herbe trottine un chien,
Une brindille remue,
Un oiseau fuit et plus rien
Ne bouge sur l’avenue.
*
Quelle molle inexistence
Descend en pâle lueur
De ce bouleau qui balance
Sa ramure de fraîcheur.
Cette fraîcheur endormie
De lumière verte et calme
A la rêveuse harmonie
Et le silence de l’âme.
*
Femme pensive, nue et qui flottes sur l’eau
Entre les pâles lys et les grêles bouleaux,
Les deux bras repliés, les jambes allongées
Et toute ta beauté vaguement émergée ;
Que regardent tes yeux dans le ciel bas et gris ?
Ne te sens-tu pas fuir sur ce fleuve endormi
Et dont le mouvement invisible et tranquille
T’entraîne abandonnant les rives immobiles ?
*
Je ne veux qu’un rêve
À demi-flottant,
Que mon âme brève
Passe en voletant,
Que la brume fine
L’enveloppe aussi ;
Qu’elle s’achemine
Sans autre souci
Que celui d’errer
Avec une brise,
Sur l’arbre léger,
Sur la terre grise.
*
Je ne peux rien retenir,
Ni la lune ni la brise,
Ni la couleur rose et grise
D’un étang plein de dormir ;
Ni l’amitié ni ma vie,
Ombre fuyante et pâlie
Dont je perds le souvenir.
*
Comme un geste ancien j’ai vu sur le mur
S’allonger la treille
Et parmi l’azur
Flotter les abeilles.
M’habituai-je, cependant,
À voir la lune pâle et ronde
Sortir de la courbe du monde,
S’élever dans l’air en glissant
Et s’effacer à l’aurore,
Plus lente et plus pâle encore ?
*
Un rapide corbillard
Trotte sous les branches douces.
L’air rose entoure le char
Et le vent le pousse.
*
Mes pieds touchent-ils le pré ?
Une hirondelle s’envole.
Ah ! comme le jour doré
Pèse peu sur mes épaules ;
Comme il pâlit et se fond
Dans la brume de la lune
Et m’entraîne et me confond
Avec la ramure brune.
*
Dans l’ombre de ce vallon
Pointent les formes légères
Du Rêve. Entre les bourgeons
Et du milieu des fougères
Émergent des fronts songeurs
Dans leurs molles chevelures,
Et des mamelles plus pures
Que le calice des fleurs.
Ô rêve, de cette écorce
Dégage ton souple torse,
Tes deux seins roses et blancs,
Et laisse dans le branchage
Retomber le long feuillage
De tes cheveux indolents.
Ne sors jamais qu’à demi
De cette écorce native
Et reste à jamais captive
De ce silence endormi,
Ô Beauté triste et pensive.

Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 28 avril 2013 à 10h24
* *
Rien n’est aussi bleu que la lune
Et mon coeur il est explosé
Le jour est comme une nuit brune
On peut bien mal s’y reposer
* *
Je n’ai pas vécu pour des prunes
A passion fus exposé
Comme il ne peut y en avoir qu’une
La vivre je n’ai pas osé
* *
Appelle-la l’enchanteresse
Moi je la nomme ma princesse
Moi son poisson elle mon eau
* *
Mais je me tais mes mots profanent
Ce bel amour que déjà fane
Le retour à des jours normaux
* *
La gloire de l’humanité
N’est pas plus forte qu’un murmure
Venu des coins déshérités ;
Mais le printemps et sa verdure
Rendent ce monde un peu plus clair,
Même si les humains sont tristes,
Ils respirent la joie dans l’air
Et l’espoir en leurs coeurs persiste.
* *
Par un lièvre dans la neige
De mars, des traces de pas
Sautillantes comme arpèges ;
Mais la neige ne tient pas
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Déposé par Cochonfucius le 9 septembre 2013 à 10h18
Sursaute, étoile rêveuse,
L’aube surgit à demi ;
Ta conscience vaporeuse
Poursuit son chemin parmi
La lumière dénudée
Du matin. Sur les bouleaux
Se dépose la rosée
Provenant des calmes eaux.
Même en leurs jours de tristesse
Chantent gaîment les oiseaux,
Et de leur chant, l’allégresse
Fait fleurir mille rameaux.
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Déposé par Cochonfucius le 5 novembre 2013 à 10h23
Tant d’eau ruisselle dans le pré
Que cela forme des rigoles ;
Sur les arbres, des fruits dorés
Craignent les oiseaux qui les volent.
Ce poème n’est point profond,
Il comprend même des lacunes .
Un mot à l’autre se confond
Dans le désordre de ma plume.
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Déposé par Cochonfucius le 4 février 2014 à 11h24
Pesanteur des jours
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Certains jours, le destin nous semble obscur et lourd
Et l’horizon perdu sous un rideau de pluie.
Gardons notre sang-froid, dans ces sinistres jours :
Notre joie n’est pas morte, elle n’est qu’endormie,
Le soir abolira les craintes du matin.
La lenteur de l’esprit, les tristesses charnelles,
L’impression de trimer pour un maigre butin :
Ces peines, mes amis, ne sont pas éternelles.
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Déposé par Cochonfucius le 14 février 2014 à 11h09
Errance
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Sur son âne gris,
Le barde parcourt un pré qui verdit.
Sa vie est obscure,
Mais il n’en a cure :
Ne redoutant point l’ombre qui grandit,
Il laisse les jours ainsi dériver ;
Son âne chemine
Et n’est point pressé, vraiment, d’arriver,
Mâchant l’herbe fine.
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Déposé par Cochonfucius le 6 mai 2014 à 10h20
Puissance onirique
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Grand est le pouvoir du rêve ;
Loin de ce monde flottant,
Que la nuit soit longue ou brève,
Il nous mène, voletants,
Vers des prés à l’herbe fine,
Vers de sombres bois aussi,
Et puis il nous achemine
Vers une île sans souci,
Ainsi nous cessons d’errer
Au gré de toutes les brises,
Nous goûtons, le corps léger,
L’ombre d’une vieille église.
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Déposé par Cochonfucius le 10 juin 2014 à 11h36
Fleur bizarre
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Vois l’étrange oiseau qui passe,
L’intrépide voyageur
Qui traverse des espaces
Pour découvrir une fleur.
Il va, sur la terre pâle,
Où la nuit a des lueurs
Trompeusement matinales
Qui lui font froid dans le coeur.
La fleur n’est point assoupie ;
Elle est peut-être en langueur,
Elle se dit que sa vie
A bien traîné en longueur.
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Déposé par Cochonfucius le 10 septembre 2014 à 13h29
Ubuesque
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Gidouille en quenouille tombant
(Sans que ta force soit flétrie),
Jarry, dans son horlogerie,
Fit ton mouvement titubant ;
D’un morceau de lard de poitrine
Il a pris soin de se munir
Pour te graisser, folle machine
Pouvant les instants retenir,
Machine à transformer les rêves !
Gidouille, apporte mes habits,
Car c’est la fin de la nuit brève,
Le retour au monde engourdi.
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Déposé par Cochonfucius le 30 janvier 2015 à 16h00
Plaisir des lézards
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Qu’elle est douce, l’existence
Des lézards, dans les lueurs
D’un soleil levant de France !
Ils rêvent dans la fraîcheur
De la courette endormie ;
L’aurore allume des flammes
Qui brûlent en harmonie
Avec celle de leur âme.
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Déposé par Cochonfucius le 28 septembre 2015 à 11h41
Mange-lune
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Dans une humeur dévoreuse,
Le noir dragon de la nuit
Aux mâchoires vaporeuses
Mord cette lune qui luit ;
Or, la lune dévorée
Nous apparaît de nouveau ;
Sur sa planète ignorée,
Le dragon rentre au caveau.
Nul des deux n’a de tristesse,
Nous révèlent les oiseaux ;
Baiser rare est allégresse,
De la naissance au tombeau.
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