Saint-Amant


L’Amarante


 
À quel point de folie et de témérité,
Contre mon vouloir propre, amour, m’as-tu porté !
Je m’étais résolu, malgré la violence,
De retenir mes pleurs, d’observer le silence,
De déguiser si bien mes maux et mes plaisirs,
Qu’à peine mes pensers auraient su mes désirs ;
Que, de peur d’éventer mes ardeurs nonpareilles,
Ma voix serait en garde avecque mes oreilles ;
Que mon esprit jaloux, s’immolant au respect,
Se trouverait lui-même à lui-même suspect ;
Qu’à ma fin douloureuse un jour ma seule cendre
Pourrait de mon brasier quelques indices rendre,
Et qu’au dernier soupir ma chaste passion
Enterrerait ce feu sous la discrétion ;
Et cependant ma bouche, infidèle à mon âme,
Oubliant tout devoir, vient d’en trahir la flamme.
Je l’ai fait éclater, j’ai parlé, j’ai gémi
Devant ce beau soleil, mon aimable ennemi,
Et j’ai bien eu l’audace, après un si grand crime,
De supplier ses yeux d’avouer pour victime
Agréable à son cœur le mien, que ses appas
Mènent comme en triomphe au chemin du trépas.
Ô langue trop hardie ! ô licence effrénée !
Ô faute sans exemple ! ô ciel ! ô destinée
Qui gouvernes mes jours, et n’as du qu’à regret
Consentir au dessein de rompre mon secret !
Que je me sens coupable, et combien j’ai d’envie
D’expier par ma mort les erreurs de ma vie !
 
Depuis sept mois entiers, nombre mystérieux,
Que j’adore captif cet objet glorieux,
Ce miracle d’honneur, de vertus et de charmes,
Cette illustre beauté, doux sujet de mes larmes,
Depuis l’heureux moment qu’en si claire prison
Ma liberté se mit avecque ma raison,
Et que navré d’amour, mon jugement essaie
Non pas de me guérir, mais de cacher ma plaie,
Un sort délicieux m’a souvent fait jouir
Du plaisir de la voir, du bonheur de l’ouïr.
D’admirer de sa main l’agile et mol albâtre,
Quand avec des accents que l’oreille idolâtre,
Sur les nerfs d’un bois creux qui chante et qui se plaint.
Qui m’éveille et m’endort, me flatte et me contraint,
Ses doigts harmonieux font aux miens telle honte
Que de leur mélodie on ne fait plus de conte.
J’ai vu ses beaux cheveux blonds, charme des regards,
Sous l’ivoire d’un peigne alentour d’elle épars,
Représenter au vrai le Pactole en sa source,
Qui d’un haut marbre blanc faisant naître sa course,
Tombe à gros bouillons d’or, et loin de soi s’enfuit,
Excepté qu’en leur chute ils ne font point de bruit.
C’est ainsi qu’au matin l’Aurore échevelée
Vient annoncer le jour sur la voûte étoilée ;
C’est ainsi que Diane autrefois apparut
Aux yeux de l’indiscret qui son ire encourut,
Quand, surprise dans l’eau, sa main aussitôt prête
De cacher son beau corps avec sa propre tête
Lui construisit en hâte un voile flamboyant
Des vifs et longs rayons de son poil ondoyant,
Et voulut que son soin obtint le privilège
De pouvoir par du feu conserver de la neige.
 
Je l’ai vue en maint lieu pour le bal ordonné,
De cristaux suspendus richement couronné,
Ou plutôt de glaçons d’où s’exhalaient des flammes,
Gagner d’un seul regard les plus superbes âmes,
Ternir les diamants que le luxe y portait,
Éblouir les flambeaux dont la salle éclatait,
Et former de ses pieds de si nombreux mystères,
De si beaux entrelacs, de si doux caractères,
Tracés avec tant d’art pour enchanter les dieux
Et pour tirer à soi les esprits par les yeux,
Que les chiffres sacrés de l’obscure magie
Pour forcer les démons ont bien moins d’énergie.
 
J’ai vu les beaux trésors de ses deux monts de lait
S’enfler aimablement sous un jaloux collet,
Qui fâché que leur teint rende sa blancheur noire
Tâche au moins d’en couvrir la moitié de sa gloire.
Mais pour être trop fin il n’en sait rien cacher,
Il trahit ce qu’il baise, et ne peut empêcher
Qu’au travers des devants dont l’œil perce l’obstacle
L’on ne jouisse à plein d’un si rare spectacle.
 
J’ai goûté seul à seul l’adorable entretien
Que forme son esprit, sa voix et son maintien,
Qui tous trois sans pareils en grâces amoureuses,
Rendant comme les yeux les oreilles heureuses,
Donnent aux moindres mots des charmes si puissants
Par les gestes diserts et les tons ravissants,
Que l’Éloquence même à sa bouche attachée.
D’oser lui repartir serait bien empêchée.
Ô bouche ! ô belle bouche ! ô quand on vous entend,
Quand on vous oit chanter, dieux ! que l’on est content !
Un doux air qui murmure et passe entre des roses
Ne nous fait point sentir de si divines choses.
Hé ! chantez donc toujours ; vos rubis animés
Ne devraient, ce me semble, être jamais fermés.
Toutefois je me trompe : amour veut qu’ils se taisent,
Afin qu’en se pressant eux-mêmes ils se baisent.
Nul n’en est digne qu’eux ; je n’en suis point jaloux.
Lèvres, baisez-vous donc, sans cesse baisez-vous.
Mais non pas sans parler ; le silence est un crime
À quiconque en beaux traits si noblement s’exprime ;
Faites et l’un et l’autre en discourant d’aimer.
Prononcez-en le mot, ou daignez me nommer,
Et j’aurai cette gloire, en l’ardeur qui m’emporte,
D’être dans vos baisers admis en quelque sorte.
 
Ha ! je me laisse aller à trop d’ambition ;
C’est changer le respect en indiscrétion.
Dites-moi que je meure, et (joyeux de vous plaire)
On me verra soudain obéir et le faire.
Oui, je mourrai joyeux si vous me l’ordonnez :
Aussi bien les ennuis qui me sont destinés
Étants trop violents pour être perdurables,
Mettront bientôt un terme à mes jours misérables.
 
Enfin, pour revenir à mon triste sujet,
J’ai d’un accès facile approché cet objet ;
J’ai de cette beauté de tant d’attraits pourvue.
Satisfait à plaisir mon ouie et ma vue ;
J’ai, si je l’ose dire, ô suprême bonheur !
J’ai dans la bienséance eu mainte fois l’honneur,
Sous les lois du salut qui le toucher avoue,
De sucer librement les roses de sa joue,
Et par mon imprudence à découvrir mon feu,
Par mon audace extrême à déclarer le vœu
Que sur l’autel d’Amour j’ai fait sans artifice
D’offrir à ses appas mon cœur en sacrifice.
Je me verrai privé, peut-être pour jamais,
De voir ces beaux soleils à qui je me soumets,
Et de qui me serait l’absence plus cruelle
Que l’horreur d’une mort dure et perpétuelle.
 
Vraiment, c’est bien à moi de m’en piquer aussi !
Elle qui des dieux seuls doit être le souci,
Elle dont tout Paris admire les merveilles,
Elle à qui nous devons tous les fruits de nos veilles,
Elle que cent galants de suite accompagnés,
Cent amoureux discrets, jeunes et bien peignés,
Trouvent sourde à leurs vœux, oserais-je prétendre
Qu’en mon poil déjà gris elle voulût m’entendre ?
 
Mais c’est mal raisonner pour un amant expert :
De propos en propos mon jugement se perd.
On dirait à m’ouïr qu’il dépend de mon âme
De s’embraser ou non d’une si belle flamme,
Comme si de tout temps le destin souverain,
Par un arrêt fatal gravé dans de l’airain,
N’avait point résolu sur la voûte éclairante
Qu’on me verrait un jour brûler pour Amarante,
Et comme si, dans l’heur de languir en ses fers,
Où je trouve à la fois mes yeux et mes enfers,
La volonté du sort, quoi qu’enfin il m’advienne,
Ne devait pas régler et conduire la mienne !
 

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