Saint-Pol-Roux(1861-1940) D’autrеs pоèmеs :Ρоpulаirе еt sуmbоliquе histоirе dе lа Vасhе еnrаgéе Сhаnsоn dе funérаillеs аmоurеusеs оu еncоrе :
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Saint-Pol-RouxLa Rose et les épines du chemin, 1901 ![]() À Jules Huret.
Ce soir, la crête de présomption au front, je quitte mon village de Provence avec pour but ce creuset des vastes destinées, Paris ! — « En voiture ! » Dernières caresses, éternuements et toux des portières qu’on ferme, roulade de sifflet, son de cloche, barrits de frein, aboiements de plaques tournantes, jeu de prunelles des disques, signaux de barrière, — et notre machine s’époumone dans la catastrophe réglée de la vapeur, imposant à sa caravane de wagons la trajectoire d’un obus gigantesque. Les gens de mon compartiment, en quête d’installation, se démènent à la façon d’une poignée de cristaux dans un kaléidoscope : du dehors nous devons former une succession de tableaux bizarres ; pour l’œil du pâtre qui regagne son logis, nous figurons peut-être, sous la gigue de la lampe et de par nos mouvements, soit un château de légende, soit une scène de derviches tourneurs, soit un pugilat de fantômes... Insensiblement l’effarement brouillé des voyageurs se transpose en quiétude, car il est une habitude du tohu-bohu comme de la douleur. Les valises casées, les sièges occupés, on se compte enfin, tacitement : un vieillard, quatre messieurs, un ecclésiastique, une dame élégante d’âge mûr au visage de porcelaine craquelée, l’adolescent que je suis. Les premiers regards se croisant en aiguilles tricotent dare dare comme un invisible pavillon d’alliance pour la durée du voyage. Passé la banlieue de Marseille, une phrase à propos d’une orange à partager invite d’autres phrases ; or, mes voisins connaissant tous Paris déjà, c’est inopinément une sorte de piédestal de mots sur lequel trône, motif unique, l’universelle cité, mais, tant les mots sont aigus, un piédestal d’épines auquel d’ameutés cris de haine voudraient bien mettre le feu ; oui, tous, hormis la dame, tous daubent sur Paris dans un déchaînement subit, — et la fleur de ma naïveté s’ouvre, telle une grande oreille étonnée. On sait vite mon cas de jeune homme en première partance. Aussitôt m’assaillent des blâmes et des quolibets. Mon vis-à-vis, aux allures de négociant, glapit : — « Pauvre petit ! » L’ecclésiastique opine : — « Vous eussiez mieux fait de rester auprès de madame votre mère ! » Seule, l’automnale dame au maquillage printanier enjolive son coin d’un sourire, silencieuse. Et les autres de s’acharner de plus en plus sur la ville maudite que, pour une traduction saisissable, ils symbolisent sous les espèces d’un monstre, et j’assiste pour ainsi dire à la création graduelle d’une horrible bête dont voici les griffes, puis les pattes, puis les crocs, puis la gueule, puis le ventre, puis la queue au triple dard. — « Ah ! si tu savais, jeune homme, comme tu descendrais à la station prochaine ! » Finalement, dans l’hallucination générale, l’épouvantail est là, tarasque matérialisée, comblant le compartiment d’un vasistas à l’autre, crachant du venin, soufflant des flammes. Lui montrant le poing, les hommes hurlent à travers l’écume : — « Il m’a déshonoré ! » — « Il m’a vidé le cerveau ! » — « Il m’a ruiné ! » — « Il a tué tous mes garçons ! » — « Il a dévoré toutes mes filles ! » Puis en chœur : — « Malheur à toi, Babylone moderne, malheur à toi, malheur ! » Je halette, les prunelles plus grosses que des noix. — « Et vous, Madame ? » demandè-je à l’unique voyageuse. Flattant de la main la queue du monstre, elle répond d’une voix de miel : — « Oh ! moi, vous savez, il m’a fait cent mille francs de rentes ! » À ces mots inattendus mon rire éclate, si vif que, parti en flèche, il va crever la fantastique baudruche, et je n’aperçois plus que des gens affalés sur les coussins, désireux de sommeil, ramenant à mi-corps leurs couvertures de voyage, lesquelles, tigrées ou bariolées, me paraissent taillées dans la peau du monstre évanoui. Avant de clore les yeux, le vieillard : — « Qu’allez-vous faire à Paris, jeune homme ? » — « Placer des diamants. » — « En avez-vous sur vous ? » précipite la dame. — « Non et oui, Madame, ils sont là... dans ma tête. » L’assemblée de se tordre alors, et les ventres de secouer les couvertures d’ironiques vagues. — « Quelque innocent de Provence ! » doit penser chacun.
La dame et les messieurs, tous s’endorment ; je veille.
Le monstre et les anathèmes retournent me hanter, je hausse les épaules derrière mon épais rempart d’absolue certitude et, comme par une meurtrière, je lance à chaque dormeur un lazzi. — « Moi, du moins, je ne serai pas vaincu ! » ai-je envie de proclamer. M’emmitouflant, je m’apprête à ronronner des rêves d’avenir. Or, voici que, à la lueur filtrée par le rideau de la lampe, tout à coup s’accomplit un mystère. Un mystère ! Tandis que, de tous mes voisins endormis, sinon la toupie d’Allemagne de leurs narines et le mignon clavier de la toujours sourieuse, plus rien ne semble vivre, un être d’une intensité de vie décuplée par le contraste des paralysies d’à-côté, un être s’est extériorisé de ma personne, en vérité je vous le dis, un être qui, harmonieux, vient, en des grâces menues de figurine, s’épanouir là précisément où se gonflait le monstre naguère. — « Ma somme d’énergies a fermenté si vivacement depuis l’heure solennelle et décisive du départ que j’ai fini par germer et m’évader de toi vers le domaine des formes (m’exprime la chère apparition) ; je suis ta croyance en ta destinée, c’est-à-dire en toi, on me nomme ta Foi ! » Cela proféré, le lutin, avec des airs de conquérant, saute sur les genoux des dormeurs, escalade les bras, les épaules, à l’un il tire l’oreille, à l’autre la barbiche, à celui-ci le nez, à celui-là les cheveux, au vieillard il fixe les lunettes près de choir, enfin il grimpe tambouriner sur la tonsure fraîche de l’abbé, ce pendant que j’entends l’espiègle au timbre d’insecte les traiter l’un et l’autre de sot et de lâche. À présent il gambade sur les seins de la dormeuse au sourire affiché, dont il suppute les quenottes, observant, l’indiscret, que la plupart d’entre elles ont des assises d’or. N’était le geste bref de chasser une mouche déclenché par un dormeur, rien n’a trahi la présence occulte. Sa gymnastique achevée, le lutin se hâte vers mes bras en tout bébé rose de force, et se dispose à me critiquer les dormeurs : il analyse leur lâcheté, énumère les raisons multiples de leur échec, me désigne les nerfs mous de leur désir et les feuilles mortes de leur volonté. S’ensuit un véritable cours de philosophie pratique agrémenté d’un feu d’artifice de noms fameux. — « Agis comme ces héros, non comme ces hommes », conclut-il en soulignant ceux-ci d’un geste de mépris. Ma surprise est considérable de l’ouïr encore : — « Tout de même méfie-toi du monstre ! » — « Peuh ! je l’ai crevé d’un jet de rire. » — « Eh, poète, pardon, ses avatars sont innombrables ! » Et son œil de poupée cligne malignement vers la dame aux gencives de pactole. Le subtil va me divulguer moult secrets encore, lorsqu’un éternuement de l’ecclésiastique le fait rentrer en moi-même soudainement. Jusques à Paris j’écoute la voix intérieure.
Ô, entre tant d’autres, cette phrase : — « Je suis en toi un atome de Dieu. Par-dessus tout ne m’égare point si tu veux triompher. Par moi tu édifieras une œuvre de vie et serviras l’humanité. Garde, ah ! garde farouchement ta Foi ! » Mais à la longue il me semble que, lumineuses dans la demi-ténèbre, les quenottes de l’énigmatique dormeuse cherchent à grignoter ma provision d’espérance.
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