Saint-Pol-Roux


La Religion du tournesol


 

             
À Antoine de La Rochefoucauld.

Tout à virer d’après le Soleil qu’ancillairement il admirait, jamais ce Tournesol, fervent comme un coup d’encensoir figé en l’air, n’avait daigné m’apercevoir, malgré ma cour de chaque heure et de chaque sorte.

Œil du Gange en accordailles avec le nombril du Firmament, la fleur guèbre ne voulait se distraire de son absolue contemplation.

L’indifférence de cet héliotrope me rendit jaloux de l’astre.

Naine au début tant que superficielle fille de ma vanité, cette jalousie, foncière dès qu’adoptée par ma raison, prit désormais une envergure énorme.

Mes moindres appétits de rival convergèrent vers ce mystérieux pétale à conquérir : un regard de la fleur.

Pour une telle victoire je mis au vent, l’un après l’autre, tous les moyens de stratégie possibles.

 

*

 

Vêtu d’étoffes somptueuses, comme taillées dans un songe de poète pauvre, une grappe adamantine à chaque oreille, les phalanges corselées de bagues, pontife de l’idée sous la tiare ou prince de la matière sous le diadème, j’allai promener autour de la fleur ma braverie de guêpe humaine.

 

Le Tournesol ne me regarda mie.

 

Longtemps je m’appliquai à parfaire ma force ainsi que ma beauté, conjuguant la course, le bain, les poids, luttant avec la corne ou la crinière ou le chef-d’œuvre ; une fois, très fort et très beau, je vins, un essaim de vierges pâmées à mes flancs, produire à l’œil incorruptible de l’inexorable idole le verger de ma forme.

 

Le Tournesol ne me regarda mie.

 

Jugeant nécessaire de joindre à l’argument du corps celui de l’âme, je lavai dans mes vagues de repentir le corbeau prisonnier en ma personne, puis on me vit parader devant la spéculative avec un roucoulement de colombe aux lèvres.

 

Le Tournesol ne me regarda mie.

 

Traversé de la baroque hypothèse que cet œil pouvait n’être qu’une extraordinaire oreille de curiosité je m’environnai de harpes, de violes, de buccins, et, comme au mitan d’un harmonieux brasier, je m’avançai saluer d’une strophe divine l’inflexible.

 

Le Tournesol ne me regarda mie.

 

Sa rude margelle en guise de pupitre, je m’abreuvai si bien à tous les seaux jaillis de la Science que les pygmalions copièrent ma renommée et que les édiles votèrent d’épaisses semelles de granit à mes statues sollicitées par les forums.

 

Le Tournesol ne me regarda mie.

 

Espérant décisif le moyen de patrie, je fondis sur la multitude étrangère, saccageai ses lois, brisai ses symboles, brûlai ses bibliothèques, pour finalement m’asseoir sur le trône du roi vaincu, dont la langue coutumière de l’ambroisie léchait mes orteils d’apothéose.

 

Le Tournesol ne me regarda mie.

 

Si la fleur était simplement quelque étrange malsaine ? complotai-je un jour d’exaspérée lassitude, — et vite d’assassiner une très vieille femme en train d’éplucher des carottes.

 

Le Tournesol ne me regarda mie.

 

Découragé, rageusement j’imaginais des combinaisons, inutiles d’avance, — lorsque passèrent sur la route trois Mendiants...

 

Évangélique, je m’avance.

 

— Je suis la Semaille.

Dit le premier, aux membres de terre et cheveux de fumier.

Je baisai ses cicatrices, desquelles soudainement vagit un avril d’arc-en-ciel.

 

— Je suis le Chagrin.

Dit le second, drapé de feuilles mortes.

Je l’enchantai d’espoir, à telles enseignes que sa bouche verdâtre s’ouvrit en grenade et montra des grains de rire.

 

— Je suis la Vieillesse.

Dit le troisième, couleur de givre et de faiblesse.

Je jetai mon manteau sur ses épaules, lui cueillis un sceptre de houx dans la lande et lui remis les fruits jolis de ma besace avec le sang rosé de ma gourde, si bien qu’il partit la jambe gaillarde et les pommettes riches.

 

Alors, me prenant sans doute pour le Soleil, le Tournesol tourna vers moi son admiration, — et dans cet œil je m’aperçus tout en lumière et tout en gloire.

 


La Rose et les épines du chemin, 1901

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