Mathurin Régnier



Quand sur moi je jette les yeux,
À trente ans me voyant tout vieux,
Mon cœur de frayeur diminue :
Étant vieilli dans un moment,
Je ne puis dire seulement
Que ma jeunesse est devenue.
 
Du berceau courant au cercueil,
Le jour se dérobe à mon œil,
Mes sens troublés s’évanouissent.
Les hommes sont comme des fleurs
Qui naissent et vivent en pleurs,
Et d’heure en heure se fanissent.
 
Leur âge à l’instant écoulé,
Comme un trait qui s’est envolé,
Ne laisse après soi nulle marque ;
Et leur nom si fameux ici,
Sitôt qu’ils sont morts, meurt aussi,
Du pauvre autant que du Monarque.
 
Naguère, vert, sain et puissant,
Comme un aubépin florissant,
Mon printemps était délectable.
Les plaisirs logeaient en mon sein ;
Et lors était tout mon dessein
Du jeu d’Amour et de la table.
 
Mais, las ! mon sort est bien tourné ;
Mon âge en un rien s’est borné,
Faible languit mon espérance :
En une nuit, à mon malheur,
De la joie et de la douleur
J’ai bien appris la différence !
 
La douleur aux traits vénéneux,
Comme d’un habit épineux
Me ceint d’une horrible torture.
Mes beaux jours sont changés en nuits ;
Et mon cœur tout flétri d’ennuis
N’attend plus que la sépulture.
 
Enivré de cent maux divers,
Je chancelle et vais de travers.
Tant mon âme en regorge pleine,
J’en ai l’esprit tout hébété,
Et, si peu qui m’en est resté,
Encor me fait-il de la peine.
 
La mémoire du temps passé,
Que j’ai follement dépensé,
Épand du fiel en mes ulcères :
Si peu que j’ai de jugement,
Semble animer mon sentiment,
Me rendant plus vif aux misères.
 
Ha ! pitoyable souvenir !
Enfin, que dois-je devenir ?
Où se réduira ma constance ?
Étant jà défailli de cœur,
Qui me donn’ra de la vigueur,
Pour durer en la pénitence ?
 
Qu’est-ce de moi ? faible est ma main,
Mon courage, hélas ! est humain,
Je ne suis de fer ni de pierre ;
En mes maux montre-toi plus doux ;
Seigneur ; aux traits de ton courroux
Je suis plus fragile que verre.
 
Je ne suis à tes yeux, sinon
Qu’un fétu sans force et sans nom,
Qu’un hibou qui n’ose paraître ;
Qu’un fantôme ici-bas errant,
Qu’une orde écume de torrent,
Qui semble fondre avant que naître.
 
Où toi tu peux faire trembler
L’Univers, et désassembler
Du Firmament le riche ouvrage ;
Tarir les flots audacieux,
Ou, les élevant jusqu’aux Cieux,
Faire de la Terre un naufrage.
 
Le Soleil fléchit devant toi,
De toi les Astres prennent loi,
Tout fait joug dessous ta parole,
Et cependant tu vas dardant
Dessus moi ton courroux ardent,
Qui ne suis qu’un bourrier qui vole.
 
Mais quoi ! si je suis imparfait,
Pour me défaire m’as-tu fait ?
Ne sois aux pécheurs si sévère.
Je suis homme, et toi Dieu Clément :
Sois donc plus doux au châtiment,
Et punis les tiens comme Père.
 
J’ai l’œil scellé d’un sceau de fer ;
Et déjà les portes d’enfer
Semblent s’entrouvrir pour me prendre :
Mais encore, par ta bonté,
Si tu m’as ôté la santé,
Ô Seigneur, tu me la peux rendre.
 
Le tronc de branches dévêtu,
Par une secrète vertu
Se rendant fertile en sa perte,
De rejetons espère un jour
Ombrager les lieux d’alentour,
Reprenant sa perruque verte.
 
Où l’homme, en la fosse couché,
Après que la mort l’a touché,
Le cœur est mort comme l’écorce ;
Encor l’eau reverdit le bois,
Mais, l’homme étant mort une fois,
Les pleurs pour lui n’ont plus de force.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Ρоzzi : Νух

Ο’Νеddу : Μаdоnnа соl bаmbinо

Соppéе : Un fils

Соppéе : «À Ρаris, еn été...»

Τhаlу : L’Îlе lоintаinе

Vеrlаinе : Éсrit еn 1875

Fаrguе : Ιntériеur

Jаmmеs : Quаnd vеrrаi-је lеs îlеs

Vеrlаinе : À Gеrmаin Νоuvеаu

Соppéе : Ρеtits bоurgеоis

Hugо : «Jеunеs gеns, prеnеz gаrdе аuх сhоsеs quе vоus ditеs...»

Fоurеst : Un hоmmе

☆ ☆ ☆ ☆

Klingsоr : L’Αttеntе inutilе

Τhаlу : Εsсlаvаgе

Соppéе : Τristеmеnt

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Τоut lе pаrfаit dоnt lе сiеl nоus hоnоrе...» (Du Βеllау)

De Сосhоnfuсius sur Sоnnеt rоmаntiquе (Riсhеpin)

De Сосhоnfuсius sur «Un јоur, quаnd dе l’hivеr l’еnnuуеusе frоidurе...» (Βаïf)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Jаdis sur Épitаphе d’un сhiеn (Μаllеvillе)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

De Jаdis sur «Αh ! Sеignеur, Diеu dеs сœurs rоbustеs, répоndеz !...» (Guérin)

De Jаdis sur Splееn : «Jе suis соmmе lе rоi...» (Βаudеlаirе)

De Ιо Kаnааn sur Сrоquis (Сrоs)

De Сurаrе- sur À un sоt аbbé dе quаlité (Sаint-Ρаvin)

De Τristаn Βеrnаrd sur Lеs Соnquérаnts (Hеrеdiа)

De Lа Μusérаntе sur Sоnnеt dе Ρоrсеlаinе (Viviеn)

De Dаmе dе flаmmе sur «Du tristе сœur vоudrаis lа flаmmе étеindrе...» (Sаint-Gеlаis)

De Сurаrе- sur «С’еst оrеs, mоn Vinеus, mоn сhеr Vinеus, с’еst оrе...» (Du Βеllау)

De Wеbmаstеr sur Lа Ρеtitе Ruе silеnсiеusе (Fоrt)

De Dаmе dе flаmmе sur «Τоi qui trоublеs lа pаiх dеs nоnсhаlаntеs еаuх...» (Βеrnаrd)

De Xi’аn sur Μirlitоn (Соrbièrе)

De Xi’аn sur «Αimеz-vоus l’оdеur viеillе...» (Μilоsz)

De krm sur Vеrlаinе

De Сurаrе= sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе

 



Photo d'après : Hans Stieglitz