Raoul Ponchon

in Courrier de Saône-et-Loire, 19 jullet 1888


Le Banquet des maires

Lettre d’un maire à la sienne

 

(Air : Aussitôt que la lumière)


 
En ma qualité de maire
Je reviens de ce banquet :
Il ne fut pas long, ma mère,
Cependant rien n’y manquait.
On voyait sur mille tables
De quoi captiver les yeux :
Mille vins indiscutables
Mille fruits mystérieux.
 
Aussitôt mon arrivée,
On me fit asseoir d’abord
À ma place réservée,
Section X, côté Nord.
Nous avions tous des serviettes,
Des fourchettes, des couteaux,
Et des quantités d’assiettes
Dont j’ignore les totaux.
 
Au bout d’une demi-heure,
On apporte les radis,
Des radis avec du beurre,
Du beurre avec des radis.
Au garçon qui m’en propose
Je réponds : Au nom du ciel !
Qu’on m’apporte quelque chose
D’un peu plus substantiel !
 
Autour d’une table immense
Sont tous les plus gros bonnets,
Tous ceux de la présidence
Et des divers cabinets :
Députés au verbe intense,
Conseillers municipaux,
De la plus grande importance,
Car ils gardent leurs chapeaux.
 
Leurs noms, comment te les dire ?
Chacun me semble étranger,
Car ils n’aiment se produire
Que s’il s’agit de manger.
Ferry prend avec sa trompe
N’importe quels aliments
Et, sans jamais qu’il se trompe,
Se les fourre entre les dents.
 
Une chose m’interloque
Ainsi que mes compagnons :
C’est que la table où l’on floque
Mange ça que nous mangeons ;
Seul,Lozé le canicide,
Qui ne bronche devant rien,
D’une mâchoire intrépide
Dévore un râble de chien.
 
Parbleu ! ma joie est majeure :
On apporte des gigots.
Je m’écrie : À la bonne heure !
Mais où sont les haricots ?
Floquet, cette fine lame,
Les tranche, à nos yeux surpris :
Peytral demande l’entame
Et Poubelle la souris.
 
Méline, appétit malade,
Aussi maigre qu’un profil,
Réclame de la salade :
« Il ne faut que ça », dit-il.
Le ministre de la guerre
Dit : « Ces gigots sont trop cuits. »
Et Carnot, qui s’exagère,
Dit : « Je mange, donc je suis ! »
 
Ferry, dans ce réfectoire,
Se bourre comme un cocher ;
Il est tout le temps à boire,
Sans s’arrêter de manger ;
On voit que le bon apôtre,
Bravant l’indigestion,
Sait fort bien que c’est un autre
Qui paiera l’addition.
 
Un seul détail m’inquiète :
Quels sont ces bougres qui n’ont
Pour trois qu’une seule assiette ?
Un collègue me répond :
« Devant eux pose ta chique :
C’est Ranc-Joffrin-Clémenceau,
Le triangle symbolique
Sur lequel rien ne prévaut. »
 
Voici venir les fromages,
Maman, tu les sens d’ici :
Des Mont-d’Or, des sassenages,
Et des livarots aussi.
Ferry, si je ne me trompe,
De ces parfums, aussitôt,
En recueille avec sa trompe
Bien plus qu’avec un couteau.
 
Vient le coup de rince-gueule,
Chacun a l’air effaré ;
L’un dit : « Ce breuvage est veule »,
Et l’autre : « Il n’est pas sucré.»
Moi, comme toute autre chose,
Je le bois sans sourciller.
Ah ! maman, tout n’est pas rose
Dans notre fichu métier.
 
Tout à coup, sans crier gare
On apporte le café.
De la liqueur, du cigare :
Nous avons assez briffé.
Puis, on entend un silence,
C’est Floquet qui veut parler,
Oh lala ! minc’ d’éloquence !
Je n’ai plus qu’à m’en aller.
      (C’est ce que je fais.)
 
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Lеvеу : Jаpоn — Νаgаsаki

Lеvеу : Сôtе d’Αzur — Νiсе

Hugо

Ρéguу : L’Αvеuglе

Rоllinаt : Rоndеаu du guillоtiné

Αuvrау : À unе lаidе аmоurеusе dе l’аutеur

Gоudеzki : Sоnnеt d’Αrt Vеrt

Sullу Ρrudhоmmе : Lеs Yеuх

Rimbаud : Lеs Εffаrés

Αrnаult : Lа Fеuillе

☆ ☆ ☆ ☆

Rоllinаt : L’Αmаntе mасаbrе

Vеrlаinе : «Sаintе Τhérèsе vеut quе lа Ρаuvrеté sоit...»

Rimbаud : Αlсhimiе du vеrbе

Hуspа : Lеs Éléphаnts

Lоrrаin : Débutаnt

Lе Fèvrе dе Lа Βоdеriе : «Diеu qui еst Un еn Τrоis, pаr pоids, nоmbrе, еt mеsurе...»

Hеrеdiа : Lе Ρrisоnniеr

Sаint-Αmаnt : «Αssis sur un fаgоt, unе pipе à lа mаin...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Νе vоisе аu bаl, qui n’аimеrа lа dаnsе...» (Ρibrас)

De Jаdis sur Lеs Βоuquins (Jаmmеs)

De Сосhоnfuсius sur Stupеur (Lаfоrguе)

De Jаdis sur «Diеu qui еst Un еn Τrоis, pаr pоids, nоmbrе, еt mеsurе...» (Lе Fèvrе dе Lа Βоdеriе)

De Jаdis sur «Εllе nе pèsе pаs unе аunе dе dеntеllе...» (Sigоgnе)

De Сосhоnfuсius sur L’Αngе pâlе (Rоllinаt)

De Ρоéliсiеr sur «Αmоurs јumеаuх, d’unе flаmmе јumеllе...» (Ρаssеrаt)

De Сurаrе- sur «Un sоir, lе lоng dе l’еаu, еllе mаrсhаit pеnsivе...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De Βеn sur «Μаrgоt, еn vоus pеignаnt, је vоus pinсе sаns rirе...» (Sigоgnе)

De Lеbrun sur «Jе rêvе, tаnt Ρаris m’еst pаrfоis un еnfеr...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сinémа (Siсаud)

De GΟUUΑUX sur «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...» (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

De Rоzès sur Répétitiоn (Vаuсаirе)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

De Ιо Kаnааn sur Сrоquis (Сrоs)

De Сurаrе- sur À un sоt аbbé dе quаlité (Sаint-Ρаvin)

De Τristаn Βеrnаrd sur Lеs Соnquérаnts (Hеrеdiа)

De Lа Μusérаntе sur Sоnnеt dе Ρоrсеlаinе (Viviеn)

De Dаmе dе flаmmе sur «Du tristе сœur vоudrаis lа flаmmе étеindrе...» (Sаint-Gеlаis)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе