Philothée O’Neddy

Feu et Flamme, 1833


Mystère


 

Qui sait ce qui est derrière la mort ?... Qui sait si les âmes délivrées de leur prison matérielle, ne peuvent pas quelquefois revenir veiller sur les âmes qu’elles aiment, commercer mystérieusement avec ces douces compagnes encore captives et leur apporter en secret quelque vertu des anges et quelque joie du ciel ?
Victor Hugo.


 
« Seigneur, une Âme pure, innocente, ingénue,
Dans tes brillants parvis dernièrement venue,
Le croira-t-on jamais ? soupire et pleure encor !
Vainement, pour calmer son angoisse inconnue,
L’air se charge de myrrhe et des sons du Kinnor.
 
« Tes dômes lumineux, tes auréoles vives,
Tes anges, de ta gloire étincelants convives,
Ne peuvent absorber son déplaisir profond :
Nous l’entendons souvent, dans le Bois des Olives,
Redemander la terre et murmurer un nom. »
 
Sous mon Delta de feu qu’on l’amène sur l’heure !
Dit le souverain juge : et la sainte demeure
Vibra respectueuse au timbre de sa voix :
Et d’un vol cadencé la jeune Âme qui pleure,
Surgit, pâle colombe, aux pieds du Roi des rois.
 
— Jeune Âme, qu’ai-je appris ? certes, il est étrange
Que même dans le ciel, toi dont j’ai fait un ange,
Tu laisse errer des pleurs sur tes traits abattus :
Pourtant tu méritais un bonheur sans mélange,
Car le Livre de vie est plein de tes vertus.
 
Pour tuer la rigueur du mal qui te dévore,
Veux-tu que je te donne un char omnicolore,
Une tente de pourpre aux rideaux de vermeil ?
Veux-tu te couronner d’un royal météore,
Et luire dans l’éther comme un second soleil ?
 
— Oh ! non, mon père, non : répondit la jeune Âme.
Ce ne sont pas ces biens que ma douleur réclame.
Gardez tous vos trésors, vos sceptres de saphir,
Vos chars de diamant, vos couronnes de flamme,
Et parmi les humains laissez-moi revenir.
 
Je veux m’en retourner au bois où dort ma cendre...
Ma bien-aimée est là qui, malheureuse et tendre,
Du monde pour gémir se plaît à s’isoler.
Auprès d’elle, Seigneur, laissez-moi redescendre !
Son deuil est si profond ! je veux la consoler.
 
— Eh bien ! dit Jéhovah, j’exauce ta demande.
Je te bénis, mon fils. Lorsque l’amour commande,
Tout doit obéir, tout.... jusques à l’Éternel.
Un cœur qui sait aimer est la plus riche offrande
Dont on puisse jamais décorer mon autel. –
 
Et, du regard de Dieu légèrement froissée,
La porte du ciel s’ouvre : et, d’une aile insensée,
Le jeune esprit se plonge en l’éther spacieux :
À plein vol il descend, plus prompt que la pensée,
Vers un orbe lointain qui fascine ses yeux.
 
Autour de lui déjà les brises de la Terre
De leur grande harmonie apportent le mystère :
Son pied rase des monts le nébuleux cimier ;
Et, sous le ciel créole, en un parc solitaire,
Il se jette invisible aux feuilles d’un palmier.
 
Là, sur l’herbe et les fleurs, celle qu’il idolâtre
Repose : l’on dirait une nonne d’albâtre,
À voir sa vénusté, son calme et sa pâleur :
Elle dort..... mais sa lèvre ardente et violâtre
Révèle qu’en son sein ne dort pas la douleur.
 
Doux comme le parfum que la rosée éveille,
L’esprit du bien-aimé se glisse à son oreille ;
Il mêle à ses cheveux de suaves senteurs :
Et, pour rasséréner son beau front qui sommeille,
À voix basse il lui dit ces mots fascinateurs :
 
— Ne te désole plus, ma colombe chérie !
Je reviens : ta beauté dans les larmes flétrie
N’a pas à mon amour fait un stérile appel.
Pour l’humble solitude où se cache ta vie,
J’ai quitté sans regret tous les bonheurs du ciel.
 
Je veux qu’autour de toi, comme une pure essence,
En tous lieux et toujours oscille ma présence :
Je veux que tu l’aspire au milieu des concerts
Que la nature exhale, et dans l’effervescence
Des émanations qui parfument les airs.
 
Au doux tomber du jour, lorsque la rêverie
Alanguira tes pas dans la tiède prairie,
Sur les losanges d’or mon âme glissera ;
Et suspendant son vol, belle, heureuse, attendrie,
Comme en nos soirs d’amour elle te sourira.
 
La nuit, je frôlerai les rideaux de ta couche ;
Je mêlerai mon souffle au souffle de ta bouche ;
J’imprégnerai tes sens d’un mystique bonheur :
Et jamais nul démon, de son rire farouche,
N’osera dans un rêve épouvanter ton cœur.
 
Suspends à ton balcon des harpes d’Éolie :
Et lorsque les vapeurs de la mélancolie
Rembruniront pour toi l’aspect de ton séjour,
Mon ombre te jouera, sur la corde amollie
Des airs voluptueux comme un frisson d’amour.
 
Oh ! souvent, n’est-ce pas ? de langueur expirante,
Tu viendras visiter la forêt murmurante
Où les premiers aveux firent trembler ma voix ;
Où de mes chastes bras l’étreinte délirante
T’attira vers mon cœur pour la première fois ?
 
Là, mon fantôme encor, plein de jeunes ivresses,
Veut te faire un réseau de brûlantes caresses ;
Mon baiser veut encor frissonner sur ta main,
Courir sur tes cils noirs, sur tes soyeuses tresses,
Incendier ta lèvre et jasper ton beau sein.
 
Oh ! oui, jusques à l’heure où, pour le vrai cénacle,
Ton âme laissera le terrestre habitacle
Je tiendrai ma ferveur roulée autour de toi :
Tu pourras t’éjouir comme en un tabernacle,
Dans ce chaste penser : son âme est avec moi !...
 
 

18..

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