Anna de Noailles


Les Charmettes


 
La route : un tendre miel de menthe
Flottait sur le petit torrent,
Rousseau, quand vous vîntes, errant,
Vers votre humble, immortelle amante.

L’eau coule, le silence est frais,
L’ombre est verte, humide et dormante.
— C’est sur cette pente si lente
Que votre fenêtre s’ouvrait !

Tous vos soupirs, tout votre orage,
Qui, dans la plus grande cité,
Mèneront un peuple irrité,
Soulèvent ici le feuillage...

Religieuse pâmoison !
Mon cœur, de douceur va se fondre.
Je pousse votre porte, j’entre,
Voici l’air de votre maison.

Je me penche à votre fenêtre,
Le soir descend sur Chambéry ;
C’est là que vous avez souri
À votre maîtresse champêtre.

Vos pieds couraient sur le carreau
Et vous traversiez la chapelle
Quand votre mère sensuelle
S’éveillait entre ses rideaux.

Des cloches tintent, le jour baisse,
Voyez, je rêve, je me tais...
C’est sur ce lit que tu jetais
Ton cœur qui crevait de tristesse !

Voyez avec quel front pâli,
Dans cette émouvante soirée,
Je suis — l’âme grave et serrée —
Venue auprès de votre lit.

Recueillie et silencieuse,
Les deux mains sur votre oreiller,
Les bras ouverts et repliés
Je fus votre sœur amoureuse.

Je presse votre ombre sur moi,
Que m’importent ces cent années !
Vous viviez ici vos journées
À la même heure de ce mois ;

Il est six heures et demie,
Claude Anet arrose au jardin ;
Vos deux mains, si chaudes soudain,
Sont sur le cou de votre amie.

C’est ici, près de ce muscat,
Dans la douce monotonie
Que vous grelottiez de génie
Ô héros lâche et délicat !

L’odeur claire et fraîche en automne
Des dahlias et du raisin,
Glissait, dans l’aube, sur le sein
De celle qui vous fut si bonne.

Dans la chambre un papier chinois
Sur les murs vieillis se décolle.
Ah ! comme votre hôtesse est folle !
Vous pleurez d’amour tous les trois...

La force des soleils sur Parme,
Les beaux golfes de l’univers
Ne valent pas un jardin vert
Où coulaient de fameuses larmes.

Ô Rousseau qui fûtes laquais
Et fûtes chassé par vos maîtres,
Vous dont le chant divin pénètre
Les bois, les sources, les forêts,

Voyez, ce soir le ciel bleu penche
Sur les Charmettes son front pur,
Je prends dans mes mains tout l’azur,
Je te donne cette pervenche...
 

Les Éblouissements, 1907

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