Nerval


Sainte-Hélène


 
Au milieu de la mer qui sépare deux mondes,
Un rocher presque nu s’élève sur les ondes,
Et son sinistre aspect remplit l’âme de deuil :
C’est là que tant de gloire est par la mort frappée ;
Et l’on y voit un nom, une croix, une épée, ...
      Tous trois jetés sur un cercueil !
 
Ce nom pourra longtemps résonner dans l’histoire
Car naguère, semblable au bronze des combats,
Qui marque tour à tour un triomphe, un trépas,
Il annonça la mort, ainsi que la victoire :
Dès qu’il retentissait comme un signal lointain,
L’un frémissait de crainte, et l’autre de courage,
On volait à la gloire, on volait au carnage,
Et les mères pressaient leurs enfants sur leur sein !
 
La Croix, tant qu’il vécut, fut l’étoile des braves :
      C’était par ses nobles entraves
      Qu’il s’attachait des défenseurs ;
Elle rendit la France en grands hommes féconde ;
Et, quand elle éclatait au ciel et sur les cœurs,
Dans ce nouveau soleil qu’il jeta sur le monde,
      L’œil put distinguer trois couleurs.
 
      La voilà, cette illustre épée
      Qui fit le sort de cent combats :
Que de fois dans le sang sa lame fut trempée
      Qu’elle a moissonné de soldats !
Le bras qui la portait fit un vaste ravage,
Elle se reposa, quand ce bras fut lassé !...
Mais l’avide vautour, qu’attire le carnage,
      Sait dans quels lieux elle a passé !
 
 

*


 
Maintenant qu’il n’est plus, le fils de la victoire,
Cessez, faibles mortels, d’outrager sa mémoire ;
Relevez ses lauriers trop longtemps avilis :
Puisque de ses revers il a porté la peine,
Oublions les erreurs du serf de Sainte-Hélène,
En songeant aux exploits du héros d’Austerlitz !
 
Il ne doit qu’à Dieu seul le compte de sa vie :
Qui sait s’il ne fut pas plein de la seule envie
D’attacher des lauriers à nos fiers étendards ;
Si ce n’est pas pour nous qu’il conquit la victoire,
Et s’il ne rêva pas, au milieu des hasards,
La gloire de la France, et non sa propre gloire ?
 
On dit qu’il fit le mal ; mais les cruels destins
Permettent-ils toujours le bien à la puissance ?
Qu’on a vu de ces rois, maudits par les humains,
À qui le sort jaloux défendit la clémence !
Souvent les noirs complots de quelques courtisans
Font le crime d’un prince et l’effroi de la terre :
Rois, chassez de vos cœurs ces monstres malfaisants ;
Il suffit d’un Séjan pour former un Tibère.
 
Eh ! quels rois bienfaiteurs n’a-t-il pas effacés ?
Que n’a-t-il pas tenté pour l’honneur de la France ?
À quel degré sublime il porta sa puissance !
C’est par lui qu’elle a vu ses vainqueurs repoussés,
Que ses armes partout ont porté sa mémoire,
Que, des climats brûlants jusqu’aux climats glacés,
Le nom de chaque plaine est un nom de victoire !
 
Trop heureux s’il n’eût point passé le Rubicon : —
Maintenant, il est là ! — Que dis-je ? Si la terre
Ne garde ici de lui qu’une vaine poussière,
À peine l’univers peut contenir son nom ;
Et ce nom, qui grondait à l’égal du tonnerre,
Est sur le cœur des rois demeuré comme un plomb !
Car il fut un de ceux qui méprisent la vie,
Qui, rois de l’avenir, survivent au trépas :
Mortels, dignes du ciel, que le ciel nous envie !
Mortels, que la mort frappe..., et n’anéantit pas !
 
 

*


 
Île de l’Océan, salut à ton rivage !
Le monde entier te doit un éternel hommage,
Et les âges futurs un noble souvenir :
Car les peuples puissants, qui t’ignoraient naguère,
Comme un flot abaissé, rentreront dans la terre ;
Mais toi, ton nom déjà remplit tout l’avenir !
 
Salut au noble chef, qui, lassé de combattre,
Déposa sur tes bords le poids de sa grandeur !
Il résista longtemps ; mais il se vit abattre
Par ceux qu’il dévorait des feux de sa splendeur ;
Île de l’Océan, le voilà sans couronne !
Son cercueil est obscur, comme fut son berceau ;
      Tu n’as jamais connu ton trône...
      Mais tu possèdes son tombeau !
 
Son tombeau ! Quel est-il ? Sous une étroite pierre,
En vain l’on cherche un nom répété tant de fois :
Celui du conquérant, qui n’est plus que poussière,
Le nom du dieu mortel, le nom du roi des rois... !
      C’est en d’autres pays qu’il gronde,
      Qu’il cause l’espoir ou le deuil...
      Il avait soulevé le monde,
      Il eût soulevé le cercueil !
 
Les Bardes bien longtemps le rediront encore,
Jusqu’à ce qu’un mortel, favorisé des cieux,
      Le chante sur un luth sonore
      Aussi bien qu’on chante les dieux :
      Son travail serait difficile ;
Il faudrait qu’au héros le chantre fût égal...
Car Homère n’a point rencontré de rival,
      Et n’avait célébré qu’Achille !
 

Napoléon et la France guerrière : Élégies Nationales, 1926

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