Nerval

Napoléon et la France guerrière : Élégies Nationales, 1926


La Mort de l’Exilé


 
Toi qui semblas un dieu, quoique fils de la Terre,
Qui pourra de ta vie expliquer le mystère ?
Un matin, tu brillas comme un soleil nouveau,
Mais le soir, las enfin de lasser la victoire,
Trop chargé de grandeurs, de triomphes, de gloire,
Tu roulas contre un roc avec tout ton fardeau.
 
Là tu viens de t’asseoir ; et ta tâche est finie : —
Du crêpe de la nuit la terre est rembrunie ;
Au repos bienfaisant tu vas enfin céder,...
Jusqu’à ce que la voix du maître qui t’éveille
À la fin de la nuit vienne te demander
          Compte du travail de la veille.
 
Mais avant d’accueillir ce sommeil précieux,
Vers le jour qui n’est plus tu reportes les yeux,
Et ton esprit, plongeant dans ta course passée,
Tantôt veut secouer un triste souvenir,
Tantôt d’un plus brillant aime à s’entretenir,
Et semble en écouter l’enivrante pensée.
 
Ah ! pleure tes grandeurs qui ne reviendront plus,
Ton pouvoir, tes honneurs, sont à jamais perdus,
Et ce charme puissant, insoluble problème,
Ce talisman vainqueur, que seul tu possédais,
Qui triomphait des rois, des peuples, du ciel même,
Dans les mains d’un mortel ne renaîtra jamais.
 
Un athlète fameux voulut briser un chêne ;
Mais il ne pensait pas que le tronc divisé,
Resserrant les éclats qu’il écarte avec peine,
        Retiendrait son bras épuisé :
De ses efforts en vain déployant la puissance,
Par les cris de sa rage il trahit sa souffrance,
L’écho seul du désert répondit à sa voix :
Et le soir, s’approchant de l’arbre qui l’enchaîne,
Un animal le vit, et déchira sans peine
Le vainqueur des lions et des monstres des bois.
 
De ton orgueil trompé telle fut l’imprudence,
Attaché comme lui, sans force, sans défense,
Il fallut sous les fers plier ton bras vainqueur ;
Déchiré sans combat par des monstres perfides,
L’athlète de Crotone expira sans honneur : —
Et toi, ne sens-tu pas, comme des loups avides,
Toutes les passions qui déchirent ton cœur.
 
À son arbre attaché, quelle fut sa pensée
Quand il se ressouvint de sa vigueur passée,
Dont les premiers essais étonnaient l’univers ?....
Et toi, que pensas-tu, quand battu par l’orage,
Tu te vis, de si loin, jeté sur le rivage,
Comme un débris vomi par l’écume des mers ?
 
 

*


 
Mais pourquoi par le temps laisser ronger tes armes ?
Pourquoi laisser couler ton âme dans les larmes ? *
Reprends le glaive encor, sors de ton long repos :
N’as-tu donc plus le bras qui lance le tonnerre,
N’as-tu plus le sourcil qui fait trembler la terre,
N’as-tu plus le regard qui produit les héros ?
 
Lève-toi ! c’est assez gémir dans le silence !
De tes lâches gardiens crains-tu la vigilance ?
Ces vaincus d’autrefois ne te connaissent plus :
Mais redeviens toi-même, et reparais leur maître !...
Ils gardent sans effroi ce que tu sembles être,
Et s’enfuiront encor devant ce que tu fus !
 
Mais ton âme n’a plus sa brûlante énergie,
Ton talisman sans force a perdu sa magie
Et les fers ont usé ta vie et ton ardeur :
Ainsi le roi des bois devient doux et docile,
Et se laisse guider par le chasseur habile,
          Qui sut enchaîner sa fureur.
 
Tu n’es plus à présent qu’un mortel ordinaire,
Faible dans l’infortune et sensible aux malheurs ;
Plus d’encens ! plus d’autels pour l’enfant de la terre !...
On ne peut désormais t’accorder que des pleurs.
 
Il fallait rester grand en restant à ta place,
Au lieu de te plier, te briser sous le sort,
Tu pouvais en héros défier sa menace :
N’avais-tu pas toujours un asile ?.... la mort !
 
La mort, mais elle est là : c’est Dieu qui te rappelle ;
Il va te délivrer de l’écorce mortelle
          Qui cachait ton âme de feu :
Lui seul peut prononcer l’éloge ou l’anathème. —
Quand sur les rois détruits tu régnais, dieu toi-même,
          Songeais-tu qu’il était un Dieu ?
 
Maintenant tu frémis, et ta vue incertaine
                    Sonde l’éternité ;
Et ton œil, égaré dans la céleste plaine,
Pénètre avec horreur dans son immensité.
Ne crains rien : notre Dieu, c’est un Dieu qui pardonne,
          La clémence qui l’environne,
          Et son éternelle bonté,
          Sont sa plus brillante couronne,
Le plus bel attribut de sa divinité.
 
Il te pardonnera ; qu’importe que sur terre
Il t’ait vu consumer un temps si précieux,
À ramasser en tas quelque peu dépoussière...
Que le souffle du Nord fit voler dans tes yeux.
 
La mort vient : — Et semblable à la mourante flamme,
Dans ton cœur défaillant tu sens trembler ton âme,
Et tes cils, tout chargés du long sommeil des morts,
Vacillent sur tes yeux, s’abaissent ; tu t’endors ! —
 
Adieu ! — Mais en quittant sa dépouille grossière,
Ton âme arrête encor, et se porte en arrière ;
Tu crains.... Que peux-tu craindre au moment du trépas ?
Non personne jamais n’occupera ta place ;
Eh ! quel fils de la Terre osera sur ta trace,
S’élancer jusqu’aux cieux pour retomber si bas ?
 
 

*


 
Ô vous qu’il étonna dans sa noble carrière,
Contemplez le héros au moment du sommeil ;
De sa chute on le vit se relever naguère....,
Mais, hélas ! cette fois, c’est sa chute dernière,
Et son repos tardif n’aura plus de réveil.
 
Ah ! contemplez encor au moment qu’il expire,
Cette tête où siégea le destin d’un empire,
Cette bouche où tonna sa formidable voix,
Ce front vaste foyer de ses projets immenses,
Cette main dont l’effort écrasait des puissances,
Élevait des guerriers, ou pesait sur des rois.
 
Mais sa bouche est muette, et sa main impuissante,
Son front n’enferme plus une pensée ardente,
Et puisque le grand homme est au séjour des morts,
Il n’en restera plus bientôt que la mémoire....
Et le ver du cercueil aura rongé son corps,
Quand l’Envie à son tour voudra ronger sa gloire.
 
Dans le triste réduit, où le roi prisonnier
Après tant de chagrins exhala l’existence,
Les preux, frappés encor de son accent dernier**,
Les yeux fixés sur lui, gémissent en silence :
Mais aux portes s’entend un bruit long et confus,
Soudain la Renommée embouche la trompette,
L’écho redit ses sons, et partout il répète
          Ces mots : Il n’est plus, il n’est plus !
 
N’est-ce qu’un bruit trompeur et l’accent du mensonge ?...
Sans le croire on l’entend : mais le bruit se prolonge,
Le temps, comme un vain son, ne l’a point dissipé,
Et sur tant de grandeur la mort a donc frappé !
Les uns ont tressailli d’une barbare joie,
D’autres, pleurant sa perte, au chagrin sont en proie,
Quelques-uns même encore ne peuvent consentir
À croire un coup du sort qu’ils étaient loin de craindre :
« Comme si le soleil pouvait jamais s’éteindre,
Et comme si le Dieu pouvait jamais mourir ! »
 
 

*


 
Il n’est plus ; mais la gloire a droit de le défendre
Du blâme qui souvent plane autour des tombeaux,
Le grand homme en mourant a couvert ses défauts
Du rapide laurier qui grandit sur sa cendre.
 
Quoique, ressortant plus sur un fond radieux,
Des faiblesses sans doute entachent sa mémoire,
Honte à vous qui voulez rabaisser cette gloire
          Dont l’éclat aveugla vos yeux :
Ne portez pas si haut ces yeux faits pour la terre ;
Reptiles impuissants, rampez dans la poussière,....
          L’aigle était dans les cieux !
 
Avant sa mort, craignant un revers de fortune,
L’Europe, mesurant le long gouffre des mers
    Et la lenteur d’une vie importune,
          Frémissait au bruit de ses fers :
Mais le champ désormais étant libre à l’injure,
Ta mémoire est en butte à des flots d’imposture,
Des nocturnes oiseaux les lamentables cris
Viennent insulter l’aigle à son heure dernière,
Comme un vent empesté, planent sur ses débris,
Et croassent longtemps autour de sa poussière.
 
 

*


 
« Il n’est plus, disent-ils, ce tyran des mortels,
Dans un honteux exil à son tour il succombe,
Ce lâche contempteur des ordres éternels,
Qui voulait de la terre obtenir des autels,
          Et qui n’en obtint qu’une tombe.
 
« Le Hasard, ce seul dieu qu’il voulût adorer,
De la coupe des biens se plut à l’enivrer ;
          Mais il la vida tout entière,
          Alors sa Fortune cessa ;
Puis il l’emplit du sang des peuples de la terre....,
          Et la coupe se renversa !
 
« Comme un songe d’enfer, il pesait sur le monde,
Balayait en passant son espoir renversé,
Ainsi qu’un vent du nord dans la plaine féconde
          Promenant son souffle glacé :
La palme qu’il portait était toute sanglante,
          Ses guirlandes étaient des fers,
Et son sceptre imprimait une tache infamante
          Au front des rois de l’univers ;
Sa gloire qui brûlait la terre palpitante,
          Était de sang toute fumante,
Et ses rayons de feu n’étaient que des éclairs.
 
« Mais les hivers du Nord arrêtèrent sa rage,
Le tonnerre au néant le força de rentrer,
La mer le revomit dans une île sauvage,
Où le sol le porta,..... mais pour le dévorer.
 
« Tigre cruel, l’horreur de toute la nature,
Dans un étroit cachot l’on sut te captiver,
Là tu viens d’expirer faute de nourriture,
Car il t’aurait fallu tout le monde en pâture,
          Et tout le sang pour t’abreuver ! »
 
 

*


 
En insultes ainsi déborde l’impudence....
Mais un autre motif le guidait aux combats
Que celui de régner sur de vastes États,
Ce fut par le désir d’une juste défense,
Par celui de venger et d’agrandir la France,
Qu’il remplit vingt pays des flots de ses soldats.
Cependant, si toujours à conquérir la terre,
À rabaisser l’orgueil de ses puissants rivaux,
          Il eût borné tous ses travaux,
Sans doute il n’eût été qu’un conquérant vulgaire :
Mais il fut des talents et le guide et l’appui,
          Il encourageait le génie,
Ornait de monuments la France rajeunie,
          Et les arts régnaient avec lui.
 
Admirez en tous lieux ces superbes portiques,
Ces monuments sacrés, ces palais magnifiques,
          Dont il remplissait ses états ;
Il fut grand dans la paix comme dans la victoire ;
Ô Français, contemplez ces colonnes de gloire,
Dont le bronze orgueilleux retrace vos combats :
Gloire au législateur, il terrasse le crime,
Il montre à l’innocence un sévère vengeur,
Et Thémis, reprenant son pouvoir qu’il ranime,
Entoure le héros d’une sainte splendeur :
Gloire à lui qui fut grand, et de toutes les gloires,
À lui qui nous combla de maux et de bienfaits,
À lui qui fut vainqueur de toutes les victoires,
          Mais ne put se vaincre jamais.
 
 

*


 
Extrême en ses grandeurs comme en ses petitesses,
N’allons pas comparer à César, à Sylla,
          Dans ses vertus ou ses faiblesses,
          Ce qu’il fut.... ou ce qu’il sembla :
N’égalons donc à rien celui que rien n’égale,
Qu’il tombât dans l’abîme, ou volât au soleil,
Sur un rocher désert, dans la pourpre royale,
Ou plus haut, ou plus bas, il était sans pareil !
 
Le superbe tombeau qu’il fit jadis construire,
          Ainsi que son immense empire,
          Est demeuré vide de lui :
On tailla dans le roc sa demeure dernière,
          Et sous une modeste pierre
          Sa cendre repose aujourd’hui ;
Mais ses gloires, toujours aux nôtres enchaînées,
Lui promettent un nom qui ne doit pas finir,
Monument éternel, enfant du souvenir,
Qui ne croulera pas sous le poids des années,
          Mais grandira dans l’avenir !
 


  ______
  * .... Dem alle Kaft seiner Seele in Thränen ausfließt. (ZIMMERMANN, la Solitude, ch. III.)
  ** Les dernières paroles de Napoléon, furent : Mon Dieu et la Nation Française !.... Mon Fils ! Tête armée !.... On ne sait ce que signifiaient ces derniers mots : Peu de temps après, on l’entendit s’écrier : France ! France !

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