Émile Nelligan


Le Corbillard


 
Par des temps de brouillard, de vent froid et de pluie,
Quand l’azur a vêtu comme un manteau de suie,
Fête des anges noirs ! dans l’après-midi, tard,
Comme il est douloureux de voir un corbillard,
Traîné par des chevaux funèbres, en automne,
S’en aller cahotant au chemin monotone,
Là-bas vers quelque gris cimetière perdu,
Qui lui-même, comme un grand mort gît étendu !
L’on salue, et l’on est pensif au son des cloches
Élégiaquement dénonçant les approches
D’un après-midi tel aux rêves du trépas.
Alors nous croyons voir, ralentissant nos pas,
À travers des jardins rouillés de feuilles mortes,
Pendant que le vent tord des crêpes à nos portes,
Sortir de nos maisons, comme des cœurs en deuil,
Notre propre cadavre enclos dans le cercueil.
 

Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 15 septembre 2014 à 14h29

Galère du barde
     ----------------

     Nelligan va sous la pluie ;
     Dur est le temps qu’il essuie,
     Il se sent, pauvre routard,
     Un vilain petit canard.

     De ces tristes jours d’automne,
     La musique est monotone ;
     Le barde se sent perdu
     Aux chemins trop étendus.

     Tantôt le son de la cloche
     S’éloigne, et tantôt s’approche,
     Cependant que le trépas,
     Certes, ne s’éloigne pas.

     Puisque nos amours sont mortes,
     Il faut refermer nos portes
     Et rapprocher nos fauteuils
     De la cheminée en deuil.

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Déposé par Cochonfucius le 6 janvier 2020 à 11h54

Taureau de pluie
----------

Sous une forte pluie danse un taureau vivace
Contemplé d’assez loin par un porc indolent ;
Les moutons d’à côté vont d’un pas plutôt lent
Vers l’humble bergerie à la toiture basse.

Or, ce même taureau patinait sur la glace,
Sans crainte de tomber, allégrement glissant ;
Car il est plein de vie, ce taureau blanchissant,
Et la longueur des ans n’éteint pas son audace.

Parfois, au point du jour, sous un arbre il se cache
Afin de s’amuser à surprendre une vache,
Sur elle ayant jeté, ce jour, son dévolu ;

Car c’est un taureau fou, c’est un taureau de flamme,
Que pour prince la Terre et le Ciel ont élu ;
Mais il oublie tout ça pour les yeux d’une Dame.

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Déposé par Jadis le 9 janvier 2020 à 10h54


Par ce temps de brouillard, de vent froid et de pluie,
Parmi les marbres noirs, mouillés, couleur de suie,
Je me suis allumé sans vergogne un pétard
En regardant, pensif, passer les corbillards.
La grive babillait à travers l’air atone,
Mais comme j’avais mal réglé mon sonotone,
Et que je fumigeais tout seul comme un tordu,
Je n’ai rien remarqué et n’ai rien entendu.
J’allais, le dos courbé        et les mains dans les poches,
Songeant que, ah là là, ce que la vie est moche,
Et qu’à la mort, au fond, ça ne s’arrange pas.        
Et tandis que j’errais sous les grands catalpas,
Mon moral barbotait plus bas que la Mer Morte,
Et sous mon crâne en deuil galopait le cloporte.
A défaut de houx vert – puisque j’en ai à l’œil,
Je mettrai sur ta tombe un bouquet de cerfeuil.

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