Musset

Poésies nouvelles, 1850


Sur la naissance du comte de Paris


 
De tant de jours de deuil, de crainte et d’espérance,
De tant d’efforts perdus, de tant de maux soufferts,
En es-tu lasse enfin, pauvre terre de France,
Et de tes vieux enfants l’éternelle inconstance
Laissera-telle un jour le calme à l’univers ?
 
Comprends-tu tes destins et sais-tu ton histoire ?
Depuis un demi-siècle as-tu compté tes pas ?
Est-ce assez de grandeur, de misère et de gloire,
Et, sinon par pitié, pour ta propre mémoire,
Par fatigue du moins t’arrêteras-tu pas ?
 
Ne te souvient-il plus de ces temps d’épouvante
Où de quatre-vingt-neuf résonna le tocsin ?
N’était-ce pas hier, et la source sanglante
Où Paris baptisa sa liberté naissante,
La sens-tu pas encor qui coule de ton sein ?
 
A-t-il rassasié ta fierté vagabonde,
A-t-il pour les combats assouvi ton penchant,
Cet homme audacieux qui traversa le monde,
Pareil au laboureur qui traverse son champ,
Armé du soc de fer qui déchire et féconde ?
 
S’il te fallait alors des spectacles guerriers,
Est-ce assez d’avoir vu l’Europe dévastée,
De Memphis à Moscou la terre disputée,
Et l’étranger deux fois assis à nos foyers,
Secouant de ses pieds la neige ensanglantée ?
 
S’il te faut aujourd’hui des éléments nouveaux,
En est-ce assez pour toi d’avoir mis en lambeaux
Tout ce qui porte un nom, gloire, philosophie,
Religion, amour, liberté, tyrannie,
D’avoir fouillé partout, jusque dans les tombeaux ?
 
En est-ce assez pour toi des vaines théories,
Sophismes monstrueux dont on nous a bercés,
Spectres républicains sortis des temps passés,
Abus de tous les droits, honteuses rêveries
D’assassins en délire ou d’enfants insensés ?
 
En est-ce assez pour toi d’avoir, en cinquante ans,
Vu tomber Robespierre et passer Bonaparte,
Charles dix pour l’exil partir en cheveux blancs,
D’avoir imité Londre, Athènes, Rome et Sparte ;
Et d’être enfin Français n’est-il pas bientôt temps ?
 
Si ce n’est pas assez, prends ton glaive et ta lance.
Réveille tes soldats, dresse tes échafauds ;
En guerre ! et que demain le siècle recommence,
Afin qu’un jour du moins le meurtre et la licence
Repus de notre sang, nous laissent le repos !
 
Mais, si Dieu n’a pas fait la souffrance inutile,
Si des maux d’ici-bas quelque bien peut venir,
Si l’orage apaisé rend le ciel plus tranquille,
S’il est vrai qu’en tombant sur un terrain fertile
Les larmes du passé fécondent l’avenir ;
 
Sache donc profiter de ton expérience,
Toi qu’une jeune reine, en ses touchants adieux,
Appelait autrefois plaisant pays de France !
Connais-toi donc toi-même, ose donc être heureux,
Ose donc franchement bénir la Providence !
 
Laisse dire à qui veut que ton grand cœur s’abat,
Que la paix t’affaiblit, que tes forces s’épuisent :
Ceux qui le croient le moins sont ceux qui te le disent.
Ils te savent debout, ferme, et prête au combat ;
Et, ne pouvant briser ta force, ils la divisent.
 
Laisse-les s’agiter, ces gens à passion,
De nos vieux harangueurs modernes parodies ;
Laisse-les étaler leurs froides comédies,
Et, les deux bras croisés, te prêcher l’action.
Leur seule vérité, c’est leur ambition.
 
Que t’importent des mots, des phrases ajustées ?
As-tu vendu ton blé, ton bétail et ton vin ?
Es-tu libre ? Les lois sont-elles respectées ?
Crains-tu de voir ton champ pillé par le voisin ?
Le maître a-t-il son toit, et l’ouvrier son pain ?
 
Si nous avons cela, le reste est peu de chose.
Il en faut plus pourtant ; à travers nos remparts,
De l’univers jaloux pénètrent les regards.
Paris remplit le monde, et, lorsqu’il se repose,
Pour que sa gloire veille, il a besoin des arts.
 
Où les vit-on fleurir mieux qu’au siècle où nous sommes ?
Quand vit-on au travail plus de mains s’exercer ?
Quand fûmes-nous jamais plus libres de penser ?
On veut nier en vain les choses et les hommes :
Nous aurons à nos fils une page à laisser.
 
Le bruit de nos canons retentit aujourd’hui ;
Que l’Europe l’écoute, elle doit le connaître !
France, au milieu de nous un enfant vient de naître,
Et, si ma faible voix se fait entendre ici,
C’est devant son berceau que je te parle ainsi.
 
Son courageux aïeul est ce roi populaire
Qu’on voit depuis huit ans, sans crainte et sans colère,
En pilote hardi nous montrer le chemin.
Son père est près du trône, une épée à la main ;
Tous les infortunés savent quelle est sa mère.
 
Ce n’est qu’un fils de plus que le ciel t’a donné,
France, ouvre-lui tes bras sans peur, sans flatterie ;
Soulève doucement ta mamelle meurtrie,
Et verse en souriant, vieille mère patrie,
Une goutte de lait à l’enfant nouveau-né.
 

29 août 1838

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Lеvеу : Jаpоn — Νаgаsаki

Lеvеу : Сôtе d’Αzur — Νiсе

Hugо

Ρéguу : L’Αvеuglе

Rоllinаt : Rоndеаu du guillоtiné

Αuvrау : À unе lаidе аmоurеusе dе l’аutеur

Gоudеzki : Sоnnеt d’Αrt Vеrt

Sullу Ρrudhоmmе : Lеs Yеuх

Rimbаud : Lеs Εffаrés

Αrnаult : Lа Fеuillе

☆ ☆ ☆ ☆

Rоllinаt : L’Αmаntе mасаbrе

Vеrlаinе : «Sаintе Τhérèsе vеut quе lа Ρаuvrеté sоit...»

Rimbаud : Αlсhimiе du vеrbе

Hуspа : Lеs Éléphаnts

Lоrrаin : Débutаnt

Lе Fèvrе dе Lа Βоdеriе : «Diеu qui еst Un еn Τrоis, pаr pоids, nоmbrе, еt mеsurе...»

Hеrеdiа : Lе Ρrisоnniеr

Sаint-Αmаnt : «Αssis sur un fаgоt, unе pipе à lа mаin...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Lа vоiх qui rеtеntit dе l’un à l’аutrе Ρôlе...» (Gоmbаud)

De Jаdis sur Саuсhеmаr (Lаfоrguе)

De Сосhоnfuсius sur À lа mémоirе d’unе сhаttе nаinе quе ј’аvаis (Lаfоrguе)

De Jаdis sur «Sаintе Τhérèsе vеut quе lа Ρаuvrеté sоit...» (Vеrlаinе)

De Сосhоnfuсius sur «Νе vоisе аu bаl, qui n’аimеrа lа dаnsе...» (Ρibrас)

De Jаdis sur Lеs Βоuquins (Jаmmеs)

De Ρоéliсiеr sur «Αmоurs јumеаuх, d’unе flаmmе јumеllе...» (Ρаssеrаt)

De Сurаrе- sur «Un sоir, lе lоng dе l’еаu, еllе mаrсhаit pеnsivе...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De Βеn sur «Μаrgоt, еn vоus pеignаnt, је vоus pinсе sаns rirе...» (Sigоgnе)

De Lеbrun sur «Jе rêvе, tаnt Ρаris m’еst pаrfоis un еnfеr...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сinémа (Siсаud)

De GΟUUΑUX sur «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...» (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

De Rоzès sur Répétitiоn (Vаuсаirе)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

De Ιо Kаnааn sur Сrоquis (Сrоs)

De Сurаrе- sur À un sоt аbbé dе quаlité (Sаint-Ρаvin)

De Τristаn Βеrnаrd sur Lеs Соnquérаnts (Hеrеdiа)

De Lа Μusérаntе sur Sоnnеt dе Ρоrсеlаinе (Viviеn)

De Dаmе dе flаmmе sur «Du tristе сœur vоudrаis lа flаmmе étеindrе...» (Sаint-Gеlаis)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе