Musset

[Poésies posthumes]


Stances


 
Je méditais, courbé sur un volume antique,
Les dogmes de Platon et les lois du Portique.
Je voulus de la vie essayer le fardeau.
Aussi bien, j’étais las des loisirs de l’enfance,
Et j’entrai, sur les pas de la belle espérance,
                    Dans ce monde nouveau.
 
Souvent on m’avait dit : « Que ton âge a de charmes !
Tes yeux, heureux enfant, n’ont point d’amères larmes,
Seule la volupté peut t’arracher des pleurs. »
Et je disais aussi : « Que la jeunesse est belle !
Tout rit à ses regards ; tous les chemins, pour elle,
                    Sont parsemés de fleurs ! »
 
Cependant, comme moi tout brillants de jeunesse,
Des convives chantaient, pleins d’une douce ivresse ;
Je leur tendis la main, en m’avançant vers eux :
« Amis, n’aurai-je pas une place à la fête ? »
Leur dis-je... Et pas un seul ne détourna la tête
                    Et ne leva les yeux !
 
Je m’éloignai pensif, la mort au fond de l’âme.
Alors, à mes regards vint s’offrir une femme.
Je crus que dans ma nuit un ange avait passé.
Et chacun admirait son souris plein de charme ;
Mais il me fit horreur ! car jamais une larme
                    Ne l’avait effacé.
 
« Dieu juste ! m’écriai-je, à ma soif dévorante
Le désert n’offre point de source bienfaisante.
Je suis l’arbre isolé sur un sol malheureux,
Comme en un vaste exil, placé dans la nature ;
Elle n’a pas d’écho pour ma voix qui murmure
                    Et se perd dans les cieux.
 
Quel mortel ne sait pas, dans le sein des orages,
Où reposer sa tête, à l’abri des naufrages ?
Et moi, jouet des flots, seul avec mes douleurs,
Aucun navire ami ne vient frapper ma vue,
Aucun, sur cette mer où ma barque est perdue,
                    Ne porte mes couleurs.
 
Ô douce illusion ! berce-moi de tes songes ;
Demandant le bonheur à tes riants mensonges,
Je me sauve en tremblant de la réalité ;
Car, pour moi, le printemps n’a pas de doux ombrage ;
Le soleil est sans feux, l’Océan sans rivage,
                    Et le jour sans clarté ! »
 
Ainsi, pour égayer son ennui solitaire,
Quand Dieu jeta le mal et le bien sur la terre,
Moi, je ne pus trouver que ma part de douleur ;
Convive repoussé de la fête publique,
Mes accents troubleraient l’harmonieux cantique
                    Des enfants du Seigneur.
 
Ah ! si je ressemblais à ces hommes de pierre
Qui, cherchant l’ombre amie et fuyant la lumière,
Ont trouvé dans le vice un facile plaisir !...
Ceux-là vivent heureux !... Mais celui qui dans l’âme
Garde quelque lueur d’une plus noble flamme,
                    Celui-là doit mourir.
 
L’ennui, vautour affreux, l’a marqué pour sa proie ;
Il trouve son tourment dans la commune joie ;
Respirant dans le ciel tous les feux de l’enfer,
Le bonheur n’est pour lui qu’un horrible mélange,
Car le miel le plus doux sur ses lèvres se change
                    En un breuvage amer.
 
Jusqu’au jour où d’ennui son âme dévorée
Trouve pour reposer quelque tombe ignorée,
Et retourne au néant, d’où l’homme était venu ;
Comme un poison brûlant, renfermé dans l’argile,
Fermente, et brise enfin le vase trop fragile
                    Qui l’avait contenu.
 

1835.

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Соrbièrе : À mоn сhiеn Ρоpе

Jаmmеs : Ρrièrе pоur аimеr lа dоulеur

Fоurеst : Εn pаssаnt sur lе quаi...

Βаnvillе : Lаpins

Сrоs : Sоnnеt : «Jе sаis fаirе dеs vеrs pеrpétuеls. Lеs hоmmеs...»

Jаmmеs : Si tu pоuvаis

Vеrlаinе : Éсrit еn 1875

Rоllinаt : Lа Vасhе blаnсhе

Соrbièrе : Ρаrаdе

Βаudеlаirе : Fеmmеs dаmnéеs — Dеlphinе еt Hippоlуtе

☆ ☆ ☆ ☆

Klingsоr : Lеs Νоisеttеs

Dеrèmе : «À quоi bоn tе сhеrсhеr, glоirе, viеillе étiquеttе !...»

Gаutiеr : Ρоrtаil

Ginеstе : Vеrs ехtrаits d’un pоëmе d’аmоur

Lаfоrguе : Νосturnе

Lаttаignаnt : Αdiеuх аu Μоndе

Vеrlаinе : Sоnnеt pоur lа Kеrmеssе du 20 јuin 1895 (Саеn)

Vеrlаinе : Épilоguе

Τаilhаdе : Quаrtiеr lаtin

Vеrlаinе : Dédiсасе

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «L’étоilе dе Vénus si brillаntе еt si bеllе...» (Μаllеvillе)

De Jаdis sur Саusеriе (Βаudеlаirе)

De Сосhоnfuсius sur Lа Vасhе blаnсhе (Rоllinаt)

De Сосhоnfuсius sur «Соurtisаns, qui trаînеz vоs јоurs déshоnоrés...» (Vаlléе dеs Βаrrеаuх)

De Βеаudеlаirе sur Βаudеlаirе

De Lе Gаrdiеn sur Virgilе (Βrizеuх)

De Jаdis sur Сrépusсulе (Соppéе)

De Jаdis sur Αu lесtеur (Μussеt)

De Rigаult sur Lеs Hirоndеllеs (Εsquirоs)

De Rigаult sur Αgénоr Αltаrосhе

De Jоël Gауrаud sur Αvе, dеа ; Μоriturus tе sаlutаt (Hugо)

De Huguеs Dеlоrmе sur Sоnnеt d’Αrt Vеrt (Gоudеzki)

De Un pоilu sur «Μоn âmе а sоn sесrеt, mа viе а sоn mуstèrе...» (Αrvеrs)

De Lе соmiquе sur Μаdrigаl tristе (Βаudеlаirе)

De Сhаntесlеr sur «Sur mеs vingt аns, pur d’оffеnsе еt dе viсе...» (Rоnsаrd)

De Gеоrgеs sur À lа mémоirе dе Zulmа (Соrbièrе)

De Guillеmеttе. sur «Lе bеаu Ρrintеmps n’а pоint tаnt dе fеuillаgеs vеrts...» (Lа Сеppèdе)

De Guillаumе sur Αbаndоnnéе (Lоrrаin)

De Lа Μusérаntе sur Hоmmаgе : «Lе silеnсе déјà funèbrе d’unе mоirе...» (Μаllаrmé)

De Сurаrе- sur Αdiеuх à lа pоésiе (Gаutiеr)

De Сurаrе- sur «J’еntrеvоуаis sоus un vêtеmеnt nоir...» (Μаgnу)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе