Oscar V. de L. Milosz

Les Sept Solitudes, 1906



 
 
                                          Don Juan
 
Ô nuit, ô même nuit malgré tant de jours morts,
D’amours décomposés, d’amitiés suicidées !
Douceur vide de la nuit blanche sur les eaux !
Et méditation stérile du silence
Avec pour fin toujours cette pâle pensée
De la lune. Ô dégoût, ridicule et profond
Dégoût de ce qui ne sait plus se reconnaître
Dans les vieux mots et qui s’obstine, hélas ! en vain,
À chercher des mots neufs pour sa pensée usée.
Gros désenchantement aux froides lèvres flasques,
Ennui d’éternité, chair incrédule au point
De nier la possibilité du néant,
Âme immobile ainsi qu’une eau stagnante, froide
Et sale où les crapauds lugubres de l’amour
Eux-mêmes ne coassent plus, où les poissons
Des vieux secrets dorés nagent le ventre en l’air,
Ridicules, ternis, tuméfiés, crevés.
Et toi, vieux rêve romanesque qui gis là,
Comme un squelette vert de vache dévorée
Par les loups, il y a bien et bien des années.
Et vous, petit glouglou étranger de mon cœur,
Vous, petite chanson monotone des pluies
Patientes d’hiver dans les gouttières jaunes.
— Des mots, des mots ! Si l’on pouvait tuer les mots,
Les clouer en croix à quelque arbre vermoulu,
Comme de petites chauves-souris malsaines,
Les noyer comme un nid de ratons fureteurs !
Et surtout les vieux mots des poèmes, ces pauvres
Merveilleux de jadis, ces lugubres dandies
Aux cheveux gris mal teints, au sourire édenté ;
Tous ces stupides et radoteurs désespoirs,
Silence, somnolence, angoisse, solitude,
Lune, — ces battements de paupières de vierges
Ou plus souvent de petite catin malpropre
Que l’on comparait avec joie, hélas, jadis,
« Au vol des sombres papillons de nuit de mai »
— Ô vieilles douceurs, vieux matelas éventrés,
Pleins de mites et de poussière ! Ils furent doux
Pourtant, ces anciens repos du cœur sur vous,
Vieux coussins des mots doux, des mots soporifiques !
Poèmes étiolés ! Ah ! Revenez doux chats
Infidèles ; que l’on entende encore un peu
Votre ronron d’automne au clair des cheminées
Où sifflote le rouge oiseau frileux du feu,
Où miaule le vieux chat emmuré du vent !
Ô pauvre muse aux tièdes cheveux poivre et sel,
Pourquoi n’êtes-vous plus le serpent satanique,
Le lourd corbeau d’automne et la croix vermoulue
Du cimetière, loin là-bas dans la vallée,
Avec ses petits Christ estropiés, — oh ! Pourquoi ?
Non, vous ne voulez pas revenir, vieux poèmes
Dont il serait si doux de faire de nouveaux
Poèmes ! Peut-être êtes-vous las de vous-mêmes,
De vous-mêmes peut-être irrémédiablement
Dégoûtés ? Moins pourtant que de moi-même moi
Ou de vous ce vieux luth lugubre, hélas, le mien,
Ce vieux luth tout au plus bon à faire danser
Les chats fiancés sur les toits pluvieux de Mars.
Ô Lorenzo des grises nuits de l’abbé Young !
Mélancolique cavalier dont le pourpoint
A l’odeur de la chambre oubliée du château !
Viens, mon cœur a faim de tes longues vérités ;
Car de la Manche est un peu loin avec Sancho,
Et l’oncle Tobie est au jardin de la guerre,
Et Ragotin est mort, ridiculement mort !
— Ce que l’on nomme en vieux langage, le bonheur,
Est-ce la solitude avec un seul ennemi ?
Bah ! Puisque nous vivons, faisons semblant de vivre.
Asseyons-nous sur l’herbe tendre dans la nuit
Et, d’un air naturel, faisons semblant de vivre.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Сhéniеr : «Αuјоurd’hui qu’аu tоmbеаu је suis prêt à dеsсеndrе...»

Du Βеllау : «Αprès аvоir lоngtеmps еrré sur lе rivаgе...»

Сhéniеr : «Τоut hоmmе а sеs dоulеurs...»

Fоurеst : Sоuvеnir оu аutrе rеpаs dе fаmillе

Vоiturе : Stаnсеs éсritеs dе lа mаin gаuсhе

Μussеt : Μаriе

Сhаssignеt : «Μоrtеl pеnsе quеl еst dеssоus lа соuvеrturе...»

Сhаssignеt : «À bеаuсоup dе dаngеr еst suјеttе lа flеur...»

Siеfеrt : Ρаntоum : «Αu сlаir sоlеil dе lа јеunеssе...»

Lаfоrguе : Dаns lа ruе

☆ ☆ ☆ ☆

Hеrеdiа : Lе Ρrisоnniеr

Sаint-Αmаnt : «Αssis sur un fаgоt, unе pipе à lа mаin...»

Sаint-Αmаnt : «Αssis sur un fаgоt, unе pipе à lа mаin...»

Αuvrау : «Hélаs ! qu’еst-се dе l’hоmmе оrguеillеuх еt mutin...»

Сhéniеr : L’Ιnvеntiоn

Sullу Ρrudhоmmе : L’Hаbitudе

Νеrvаl : Lе Révеil еn vоiturе

Vеrlаinе : «Lе sоus-сhеf еst аbsеnt du burеаu : ј’еn prоfitе...»

Μussеt : Μаrdосhе

Αllаis : Соnsеils à un vоуаgеur timоré : «Ρаr lеs bоis du dјinn...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Diеu qui еst Un еn Τrоis, pаr pоids, nоmbrе, еt mеsurе...» (Lе Fèvrе dе Lа Βоdеriе)

De Сосhоnfuсius sur «Lеs lуs mе sеmblеnt nоirs...» (Αubigné)

De Сurаrе- sur «Un sоir, lе lоng dе l’еаu, еllе mаrсhаit pеnsivе...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De Сосhоnfuсius sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De Βеn sur «Μаrgоt, еn vоus pеignаnt, је vоus pinсе sаns rirе...» (Sigоgnе)

De Lеbrun sur «Jе rêvе, tаnt Ρаris m’еst pаrfоis un еnfеr...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сinémа (Siсаud)

De GΟUUΑUX sur «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...» (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

De Jаdis sur Lе Сhаt (Rоllinаt)

De Rоzès sur Répétitiоn (Vаuсаirе)

De Jаdis sur Lеs Αngéliquеs (Νеlligаn)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Jаdis sur Épitаphе d’un сhiеn (Μаllеvillе)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

De Ιо Kаnааn sur Сrоquis (Сrоs)

De Сurаrе- sur À un sоt аbbé dе quаlité (Sаint-Ρаvin)

De Τristаn Βеrnаrd sur Lеs Соnquérаnts (Hеrеdiа)

De Lа Μusérаntе sur Sоnnеt dе Ρоrсеlаinе (Viviеn)

De Dаmе dе flаmmе sur «Du tristе сœur vоudrаis lа flаmmе étеindrе...» (Sаint-Gеlаis)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе