Charles Leconte de Lisle

Poèmes barbares


La Tête du comte


 
Les chandeliers de fer flambent jusqu’au plafond
Où, massive, reluit la poutre transversale.
On entend crépiter la résine qui fond.
 
Hormis cela, nul bruit. Toute la gent vassale,
Écuyers, échansons, pages, Maures lippus,
Se tient debout et roide autour de la grand-salle.
 
Entre les escabeaux et les coffres trapus
Pendent au mur, dépouille aux Sarrazins ravie,
Cottes, pavois, cimiers que les coups ont rompus.
 
Don Diego, sur la table abondamment servie,
Songe, accoudé, muet, le front contre le poing,
Pleurant sa flétrissure et l’honneur de sa vie.
 
Au travers de sa barbe et le long du pourpoint
Silencieusement vont ses larmes amères,
Et le vieux Cavalier ne mange et ne boit point.
 
Son âme, sans repos, roule mille chimères :
Hauts faits anciens, désir de vengeance, remords
De tant vivre au-delà des forces éphémères.
 
Il mâche sa fureur comme un cheval son mors ;
Il pense, se voyant séché par l’âge aride,
Que dans leurs tombeaux froids bienheureux sont les morts.
 
Tous ses fils ont besoin d’éperon, non de bride,
Hors Rui Diaz, pour laver la joue où saigne, là,
Sous l’offense impunie une suprême ride.
 
Ô jour, jour détestable où l’honneur s’envola !
Ô vertu des aïeux par cet affront souillée !
Ô face que la honte avec deux mains voila !
 
Don Diego rêve ainsi, prolongeant la veillée,
Sans ouïr, dans sa peine enseveli, crier
De l’huis aux deux battants la charnière rouillée.
 
Don Rui Diaz entre. Il tient de son poing meurtrier
Par les cheveux la tête à prunelle hagarde,
Et la pose en un plat devant le vieux guerrier.
 
Le sang coule, et la nappe en est rouge. — Regarde !
Hausse la face, père ! Ouvre les yeux et vois !
Je ramène l’honneur sous ton toit que Dieu garde.
 
Père ! j’ai relustré ton nom et ton pavois,
Coupé la male langue et bien fauché l’ivraie. —
Le vieux dresse son front pâle et reste sans voix.
 
Puis il crie : – Ô mon Rui, dis si la chose est vraie !
Cache la tête sous la nappe, ô mon enfant !
Elle me change en pierre avec ses yeux d’orfraie.
 
Couvre ! car mon vieux cœur se romprait, étouffant
De joie, et ne pourrait, ô fils, te rendre grâce,
À toi, vengeur d’un droit que ton bras sûr défend.
 
À mon haut bout sieds-toi, cher astre de ma race !
Par cette tête, sois tête et cœur de céans,
Aussi bien que je t’aime et t’honore et t’embrasse.
 
Vierge et Saints ! mieux que l’eau de tous les océans
Ce sang noir a lavé ma vieille joue en flamme.
Plus de jeûnes, d’ennuis, ni de pleurs malséants !
 
C’est bien lui ! Je le hais, certe, à me damner l’âme ! —
Rui dit : L’honneur est sauf, et sauve la maison,
Et j’ai crié ton nom en enfonçant ma lame.
 
Mange, père ! – Diego murmure une oraison ;
Et tous deux, s’asseyant côte à côte à la table,
Graves et satisfaits, mangent la venaison,
 
En regardant saigner la Tête lamentable.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Rоnsаrd : Dе l’Élесtiоn dе sоn Sépulсrе

Βаudеlаirе : Lеs Ρlаintеs d’un Ιсаrе

Βаnvillе : À Αdоlphе Gаïffе

Du Ρеrrоn : «Αu bоrd tristеmеnt dоuх dеs еаuх...»

Βlаisе Сеndrаrs

Rоnsаrd : Dе l’Élесtiоn dе sоn Sépulсrе

Νuуsеmеnt : «Lе vаutоur аffаmé qui du viеil Ρrоméthéе...»

Lа Сеppèdе : «Сеpеndаnt lе sоlеil fоurnissаnt sа јоurnéе...»

Τоulеt : «Dаns lе silеnсiеuх аutоmnе...»

Μussеt : À Αlf. Τ. : «Qu’il еst dоuх d’êtrе аu mоndе, еt quеl biеn quе lа viе !...»

Vеrlаinе : «Lа mеr еst plus bеllе...»

Jасоb : Lе Dépаrt

☆ ☆ ☆ ☆

Lаfоrguе : Lе Sаnglоt univеrsеl

Сrоs : Ρituitе

Jаmmеs : Lа sаllе à mаngеr

Régniеr : Lа Lunе јаunе

Rоdеnbасh : «Αllеluiа ! Сlосhеs dе Ρâquеs !...»

Lаfоrguе : Соmplаintе d’un аutrе dimаnсhе

Vеrlаinе : Lе Dеrniеr Dizаin

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur Lе Grаnd Αrbrе (Μérаt)

De Сосhоnfuсius sur «Jе vоudrаis êtrе аinsi соmmе un Ρеnthéе...» (Gоdаrd)

De Сосhоnfuсius sur Sаintе (Μаllаrmé)

De Dаmе dе flаmmе sur Vеrlаinе

De Сurаrе- sur Sur l’Hélènе dе Gustаvе Μоrеаu (Lаfоrguе)

De Dаmе dе flаmmе sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

De Сurаrе- sur «Ιl n’еst riеn dе si bеаu соmmе Саlistе еst bеllе...» (Μаlhеrbе)

De Xi’аn sur Lе Gigоt (Ρоnсhоn)

De Jаdis sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Dаmе dе flаmmе sur À sоn lесtеur : «Lе vоilà сеt аutеur qui sаit pinсеr еt rirе...» (Dubоs)

De Yеаts sur Ρаul-Jеаn Τоulеt

De Ιо Kаnааn sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Xi’аn sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе