Charles Leconte de Lisle


Dies Iræ


 
Il est un jour, une heure, où dans le chemin rude,
Courbé sous le fardeau des ans multipliés,
L’Esprit humain s’arrête, et, pris de lassitude,
Se retourne pensif vers les jours oubliés.
 
La vie a fatigué son attente inféconde ;
Désabusé du Dieu qui ne doit point venir,
Il sent renaître en lui la jeunesse du monde ;
Il écoute ta voix, ô sacré souvenir !
 
Les astres qu’il aima, d’un rayon pacifique
Argentent dans la nuit les bois mystérieux,
Et la sainte montagne et la vallée antique
Où sous les noirs palmiers dormaient ses premiers Dieux.
 
Il voit la terre libre et les verdeurs sauvages
Flotter comme un encens sur les fleuves sacrés,
Et les bleus Océans, chantant sur leurs rivages,
Vers l’inconnu divin rouler immesurés.
 
De la hauteur des monts, berceaux des races pures,
Au murmure des flots, au bruit des dômes verts,
Il écoute grandir, vierge encor de souillures,
La jeune Humanité sur le jeune Univers.
 
Bienheureux ! Il croyait la terre impérissable,
Il entendait parler au prochain firmament,
Il n’avait point taché sa robe irréprochable ;
Dans la beauté du monde il vivait fortement.
 
L’éclair qui fait aimer et qui nous illumine
Le brûlait sans faiblir un siècle comme un jour ;
Et la foi confiante et la candeur divine
Veillaient au sanctuaire où rayonnait l’amour.
 
Pourquoi s’est-il lassé des voluptés connues ?
Pourquoi les vains labeurs et l’avenir tenté ?
Les vents ont épaissi là-haut les noires nues ;
Dans une heure d’orage ils ont tout emporté.
 
Oh ! la tente au désert et sur les monts sublimes,
Les grandes visions sous les cèdres pensifs,
Et la Liberté vierge et ses cris magnanimes,
Et le débordement des transports primitifs !
 
L’angoisse du désir vainement nous convie :
Au livre originel qui lira désormais ?
L’homme a perdu le sens des paroles de vie :
L’esprit se tait, la lettre est morte pour jamais.
 
Nul n’écartera plus vers les couchants mystiques
La pourpre suspendue au devant de l’autel,
Et n’entendra passer dans les vents prophétiques
Les premiers entretiens de la Terre et du Ciel.
 
Les lumières d’en haut s’en vont diminuées,
L’impénétrable nuit tombe déjà des cieux,
L’astre du vieil Ormuzd est mort sous les nuées ;
L’Orient s’est couché dans la cendre des Dieux.
 
L’esprit ne descend plus sur la race choisie ;
Il ne consacre plus les justes et les forts.
Dans le sein desséché de l’immobile Asie
Les soleils inféconds brûlent les germes morts.
 
Les Ascètes, assis dans les roseaux du fleuve,
Écoutent murmurer le flot tardif et pur.
Pleurez, contemplateurs ! votre sagesse est veuve :
Viçnou ne siège plus sur le Lotus d’azur.
 
L’harmonieuse Hellas, vierge aux tresses dorées,
À qui l’amour d’un monde a dressé des autels,
Gît, muette à jamais, au bord des mers sacrées,
Sur les membres divins de ses blancs Immortels.
 
Plus de charbon ardent sur la lèvre-prophète !
Adônaï, les vents ont emporté ta voix ;
Et le Nazaréen, pâle et baissant la tête,
Pousse un cri de détresse une dernière fois.
 
Figure aux cheveux roux, d’ombre et de paix voilée,
Errante au bord des lacs sous ton nimbe de feu,
Salut ! l’humanité, dans ta tombe scellée,
Ô jeune Essénien, garde son dernier Dieu !
 
Et l’Occident barbare est saisi de vertige.
Les âmes sans vertu dorment d’un lourd sommeil,
Comme des arbrisseaux, viciés dans leur tige,
Qui n’ont verdi qu’un jour et n’ont vu qu’un soleil.
 
Et les sages, couchés sous les secrets portiques,
Regardent, possédant le calme souhaité,
Les époques d’orage et les temps pacifiques
Rouler d’un cours égal l’homme à l’éternité.
 
Mais nous, nous, consumés d’une impossible envie,
En proie au mal de croire et d’aimer sans retour,
Répondez, jours nouveaux ! nous rendrez-vous la vie ?
Dites, ô jours anciens ! nous rendrez-vous l’amour ?
 
Où sont nos lyres d’or, d’hyacinthe fleuries,
Et l’hymne aux Dieux heureux et les vierges en chœur,
Éleusis et Délos, les jeunes Théories,
Et les poèmes saints qui jaillissent du cœur ?
 
Où sont les Dieux promis, les formes idéales,
Les grands cultes de pourpre et de gloire vêtus,
Et dans les cieux ouvrant ses ailes triomphales
La blanche ascension des sereines Vertus ?
 
Les Muses, à pas lents, mendiantes divines,
S’en vont par les cités en proie au rire amer.
Ah ! c’est assez saigner sous le bandeau d’épines,
Et pousser un sanglot sans fin comme la mer !
 
Oui ! le mal éternel est dans sa plénitude !
L’air du siècle est mauvais aux esprits ulcérés.
Salut, oubli du monde et de la multitude !
Reprends-nous, ô Nature, entre tes bras sacrés !
 
Dans ta khlamyde d’or, Aube mystérieuse,
Éveille un chant d’amour au fond des bois épais !
Déroule encor, Soleil, ta robe glorieuse !
Montagne, ouvre ton sein plein d’arôme et de paix !
 
Soupirs majestueux des ondes apaisées,
Murmurez plus profonds en nos cœurs soucieux !
Répandez, ô forêts, vos urnes de rosées !
Ruisselle en nous, silence étincelant des cieux !
 
Consolez-nous enfin des espérances vaines :
La route infructueuse a blessé nos pieds nus.
Du sommet des grands caps, loin des rumeurs humaines,
Ô vents ! emportez-nous vers les Dieux inconnus !
 
Mais si rien ne répond dans l’immense étendue,
Que le stérile écho de l’éternel désir,
Adieu, déserts, où l’âme ouvre une aile éperdue !
Adieu, songe sublime, impossible à saisir !
 
Et toi, divine Mort, où tout rentre et s’efface,
Accueille tes enfants dans ton sein étoilé ;
Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace,
Et rends-nous le repos que la vie a troublé !
 

Poèmes antiques

Commentaire (s)
Déposé par Beaufond le 1er février 2013 à 04h57

Cette version du poème, en plus d’être tronquée, comporte le faux vers "Mais nous, consumés d’une impossible envie," ; j’essayais cette version bizarre, mais je ne suis pas allé plus loin.

[Lien vers ce commentaire]

Déposé par L’Ornithophile le 1er février 2013 à 09h44

Merci d’avoir signalé ces erreurs. C’est réparé !

[Lien vers ce commentaire]

Déposé par Cochonfucus le 9 octobre 2016 à 17h40

Trois lions joueurs
-------------------------

Trois petits lions joueurs sous le grand soleil rude,
Sans nul souci du temps qui coule au sablier,
Sans un soupçon d’ennui, sans nulle lassitude,
S’amusent sur la place à des jeux oubliés.

Or, cette activité n’est jamais inféconde ;
Oublieux du malheur qui pourrait survenir,
Ils apprennent ainsi à savourer le monde,
Et, quand ils seront vieux, quels charmants souvenirs !

Je reste à regarder ces lionceaux pacifiques,
Tâchant d’interpréter leur jeu mystérieux,
Qui, peut-être, est repris des traditions antiques
Apprises dans l’Eden, sous le regard de Dieu.

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