Eugène Le Mouël

Dans le manoir doré, 1901


L’Héritage du grand-père


 
Le grand-père Morvan a trois petits garçons,
Trois beaux petits garçons d’Anne, sa fille aînée,
Il a rappris pour eux son cahier de chansons :
Pour eux, le soir venu, devant la cheminée,
Il invente à loisir quelque conte émouvant,
Et, pareil au rouet qui murmure sans trêve,
Pour ses petits garçons, le bonhomme Morvan,
Recommence dix fois, quand l’histoire est trop brève.
 
Oh ! les récits touchants ! Il en sait où les nains
S’en vont au clair de lune en invisibles rondes,
Où les Géants barbus dans leurs énormes mains
Comme des osselets font tournoyer des mondes :
Il en sait où les loups implorent un mouton,
Où les Saints, d’un regard, changent l’eau vive en flamme,
Où les poissons des mers savent parler breton :
Il en sait, le grand-père, où les fleurs ont une âme.
 
Les trois petits garçons, les bras croisés, assis
Sur des sièges très hauts, ont l’air d’anges en pierre.
Quand le héros du conte a de cruels soucis,
Une larme se pose au bord de leur paupière ;
Mais quand, par un bon tour, il sort d’un mauvais pas,
Ce sont des rires fous et des cris de victoire
Dont la vieille maison tremble du haut en bas !
Le bonhomme est content et redit son histoire,
 
Dès que le feu s’éteint entre les lourds chenets,
Pendant que la fumée, en spirale bleuâtre,
Emporte vers le ciel la sève des genêts
Dont les rameaux fleuris, tantôt, parfumaient l’âtre,
Le grand-père se tait. — Les trois petits garçons,
Avant d’aller dormir, lui donnent large compte
De baisers aussi clairs que des chants de pinsons ;
Et c’est là, vous pensez, le doux moment du conte.
 
Or, un soir, le vieillard, son récit terminé,
Leur dit plus gravement qu’il n’en avait coutume :
« Mes chers petits enfants, je suis peu fortuné
Et j’en ai pour vous seuls le cœur plein d’amertume,
Je vous aurais voulus très riches par mes soins,
Et qu’ayant fait pour vous la tâche inévitable,
Vous trouviez, chaque jour, au gré de vos besoins,
Du linge dans l’armoire et du pain sur la table.
 
« Je vous aurais voulus flânant au grand soleil,
Comme l’agneau qui paît où va sa fantaisie,
Et choisissant le coin doux à votre sommeil,
Comme l’insecte dort dans la rose choisie ;
Mais je suis resté pauvre et je ne laisse rien.
Vous aurez mes habits pour unique héritage,
Et trois aunes de drap composant tout mon bien :
Le moment est venu d’en faire le partage.
 
« À toi, Jozon, l’aîné, je lègue mon chapeau.
Le feutre en est râpé, la teinte en est pâlie...
Mais songe, mon enfant, qu’au moins, s’il n’est pas beau
Il conserve peut-être un grain de ma folie.
Il a couvert mon front au temps où je rêvais,
Il a connu de près mes espoirs de jeunesse ;
Porte-le quelquefois, afin qu’aux jours mauvais
Le rêve du grand-père en ton cerveau renaisse !
 
« Bien qu’elle ait moins d’éclat que celles d’à présent,
À toi, Jan, le second, je fais don de ma veste ;
Mais songe que son drap, s’il est mince et luisant,
De ma force d’antan contient peut-être un reste.
Ses plis doivent garder un peu de mes efforts,
Les muscles de mes bras ont sailli dans ses manches ;
Afin que ma vigueur t’aide à tomber les forts,
Porte-la quelquefois aux luttes des dimanches !
 
« À toi, petit Lomik, je lègue mon gilet.
Ne le dédaigne pas pour sa laine grossière ;
Mais songe que peut-être au fond de chaque ourlet
Un peu de mon amour dort parmi la poussière.
Mon cœur, sous son abri, bien des fois a battu ;
Il a su mon secret sans que ma voix le nomme ;
Porte-le quelquefois pour qu’en étant vêtu,
Ton cœur batte aussi bien que le cœur du bonhomme !
 
« Jozon, Lomik et Jan, voilà quels sont vos lots.
Le coffre étant vidé, j’ai fini mes largesses ;
Allez dormir ensemble au fond du grand lit clos...
Dormir à poings fermés vaut toutes les richesses !
La misère après tout n’est qu’un léger malheur,
Et s’en plaindre, vraiment, serait chose insensée !
Car je vous ai légué ce que j’eus de meilleur :
Vous aurez mon amour, ma force et ma pensée ! »
 

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