Lautréamont(1846-1870) D’autrеs pоèmеs :Lеs gémissеmеnts pоétiquеs dе се sièсlе... Ιl у еn а qui éсrivеnt pоur rесhеrсhеr lеs аpplаudissеmеnts humаins... J’étаblirаi dаns quеlquеs lignеs соmmеnt Μаldоrоr... Lесtеur, с’еst pеut-êtrе lа hаinе quе tu vеuх quе ј’invоquе... Ρlût аu сiеl quе lе lесtеur... Lеs mаgаsins dе lа ruе Viviеnnе... Αvаnt d’еntrеr еn mаtièrе, је trоuvе stupidе... оu еncоrе :Unе lаntеrnе rоugе, drаpеаu du viсе... Qu’il n’аrrivе pаs lе јоur оù... Сhаquе nuit, à l’hеurе оù lе sоmmеil... Éсоutеz lеs pеnséеs dе mоn еnfаnсе...
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LautréamontLes Chants de Maldoror, 1869
Voici la folle qui passe en dansant, tandis qu’elle se rappelle
vaguement quelque chose. Les enfants la poursuivent à coups de pierre,
comme si c’était un merle. Elle brandit un bâton et fait mine de les
poursuivre, puis reprend sa course. Elle a laissé un soulier en chemin,
et ne s’en aperçoit pas. De longues pattes d’araignée circulent sur sa
nuque ; ce ne sont autre chose que ses cheveux. Son visage ne ressemble
plus au visage humain, et elle lance des éclats de rire comme l’hyène.
Elle laisse échapper des lambeaux de phrases dans lesquels, en les
recousant, très-peu trouveraient une signification claire. Sa robe,
percée en plus d’un endroit, exécute des mouvements saccadés autour de
ses jambes osseuses et pleines de boue. Elle va devant soi, comme la
feuille du peuplier, emportée, elle, sa jeunesse, ses illusions et son
bonheur passé, qu’elle revoit à travers les brumes d’une intelligence
détruite, par le tourbillon des facultés inconscientes. Elle a perdu sa
grâce et sa beauté primitives ; sa démarche est ignoble, et son haleine
respire l’eau-de-vie. Si les hommes étaient heureux sur cette terre,
c’est alors qu’il faudrait s’étonner. La folle ne fait aucun reproche,
elle est trop fière pour se plaindre, et mourra, sans avoir révélé son
secret à ceux qui s’intéressent à elle, mais auxquels elle a défendu de
ne jamais lui adresser la parole. Les enfants la poursuivent à coups de
pierre, comme si c’était un merle. Elle a laissé tomber de son sein un
rouleau de papier. Un inconnu le ramasse, s’enferme chez lui toute la
nuit et lit le manuscrit, qui contenait ce qui suit : « Après bien des
années stériles, la Providence m’envoya une fille. Pendant trois jours,
je m’agenouillai dans les églises, et ne cessai de remercier le grand
nom de Celui qui avait enfin exaucé mes vœux. Je nourrissais de mon
propre lait celle qui était plus que ma vie et que je voyais grandir
rapidement, douée de toutes les qualités de l’âme et du corps. Elle me
disait : « Je voudrais avoir une petite sœur pour m’amuser avec elle ;
recommande au bon Dieu de m’en envoyer une ; et, pour le récompenser,
j’entrelacerai, pour lui, une guirlande de violettes, de menthes et
de géraniums. » Pour toute réponse, je l’enlevais sur mon sein et
l’embrassais avec amour. Elle savait déjà s’intéresser aux animaux, et
me demandait pourquoi l’hirondelle se contente de raser de l’aile les
chaumières humaines, sans oser y rentrer. Mais, moi, je mettais un doigt
sur ma bouche, comme pour lui dire de garder le silence sur cette grave
question, dont je ne voulais pas encore lui faire comprendre les
éléments, afin de ne pas frapper, par une sensation excessive, son
imagination enfantine ; et, je m’empressais de détourner la conversation
de ce sujet, pénible à traiter pour tout être appartenant à la race qui
a étendu une domination injuste sur les autres animaux de la création.
Quand elle me parlait des tombes du cimetière, en me disant qu’on
respirait dans cette atmosphère les agréables parfums des cyprès et des
immortelles, je me gardai de la contredire ; mais, je lui disais que
c’était la ville des oiseaux, que, là, ils chantaient depuis l’aurore
jusqu’au crépuscule du soir, et que les tombes étaient leurs nids, où
ils couchaient la nuit avec leur famille, en soulevant le marbre. Tous
les mignons vêtements qui la couvraient, c’est moi qui les avais cousus,
ainsi que les dentelles, aux mille arabesques, que je réservais pour le
dimanche. L’hiver, elle avait sa place légitime autour de la grande
cheminée ; car elle se croyait une personne sérieuse, et, pendant l’été,
la prairie reconnaissait la suave pression de ses pas, quand elle
s’aventurait, avec son filet de soie, attaché au bout d’un jonc, après
les colibris, pleins d’indépendance, et les papillons, aux zigzags
agaçants. « Que fais-tu, petite vagabonde, quand la soupe t’attend depuis
une heure, avec la cuillère qui s’impatiente ? » Mais, elle s’écriait, en
me sautant au cou, qu’elle n’y reviendrait plus. Le lendemain, elle
s’échappait de nouveau, à travers les marguerites et les résédas ; parmi
les rayons du soleil et le vol tournoyant des insectes éphémères ; ne
connaissant que la coupe prismatique de la vie, pas encore le fiel ;
heureuse d’être plus grande que la mésange ; se moquant de la fauvette,
qui ne chante pas si bien que le rossignol ; tirant sournoisement la
langue au vilain corbeau, qui la regardait paternellement ; et gracieuse
comme un jeune chat. Je ne devais pas longtemps jouir de sa présence ;
le temps s’approchait, où elle devait, d’une manière inattendue, faire
ses adieux aux enchantements de la vie, abandonnant pour toujours
la compagnie des tourterelles, des gelinottes et des verdiers, les
babillements de la tulipe et de l’anémone, les conseils des herbes
du marécage, l’esprit incisif des grenouilles et la fraîcheur des
ruisseaux. On me raconta ce qui s’était passé ; car, moi, je ne fus pas
présente à l’événement qui eut pour conséquence la mort de ma fille.
Si je l’avais été, j’aurais défendu cet ange au prix de mon sang...
Maldoror passait avec son bouledogue ; il voit une jeune fille qui dort
à l’ombre d’un platane, il la prit d’abord pour une rose. On ne peut
dire qui s’éleva le plus tôt dans son esprit, ou la vue de cette enfant,
ou la résolution qui en fut la suite. Il se déshabille rapidement, comme
un homme qui sait ce qu’il va faire. Nu comme une pierre, il s’est jeté
sur le corps de la jeune fille, et lui a levé la robe pour commettre un
attentat à la pudeur... à la clarté du soleil ! Il ne se gênera pas,
allez !... N’insistons pas sur cette action impure. L’esprit mécontent,
il se rhabille avec précipitation, jette un regard de prudence sur la
route poudreuse, où personne ne chemine, et ordonne au bouledogue
d’étrangler avec le mouvement de ses mâchoires, la jeune fille
ensanglantée. Il indique au chien de la montagne la place où respire et
hurle la victime souffrante, et se retire à l’écart, pour ne pas être
témoin de la rentrée des dents pointues dans les veines roses.
L’accomplissement de cet ordre put paraître sévère au bouledogue. Il
crut qu’on lui demanda ce qui avait été déjà fait, et se contenta, ce
loup, au mufle monstrueux, de violer à son tour la virginité de cette
enfant délicate. De son ventre déchiré, le sang coule de nouveau le long
de ses jambes, à travers la prairie. Ses gémissements se joignent aux
pleurs de l’animal. La jeune fille lui présente la croix d’or qui ornait
son cou, afin qu’il l’épargne ; elle n’avait pas osé la présenter aux
yeux farouches de celui qui, d’abord, avait eu la pensée de profiter
de la faiblesse de son âge. Mais le chien n’ignorait pas que, s’il
désobéissait à son maître, un couteau lancé de dessous une manche,
ouvrirait brusquement ses entrailles, sans crier gare. Maldoror (comme
ce nom répugne à prononcer !) entendait les agonies de la douleur, et
s’étonnait que la victime eût la vie si dure, pour ne pas être encore
morte. Il s’approche de l’autel sacrificatoire, et voit la conduite
de son bouledogue, livré à de bas penchants, et qui élevait sa tête
au-dessus de la jeune fille, comme un naufragé élève la sienne au-dessus
des vagues en courroux. Il lui donne un coup de pied et lui fend un
œil. Le bouledogue, en colère, s’enfuit dans la campagne, entraînant
après lui, pendant un espace de route qui est toujours trop long pour
si court qu’il fût, le corps de la jeune fille suspendue, qui n’a été
dégagé que grâce aux mouvements saccadés de la fuite ; mais, il craint
d’attaquer son maître, qui ne le reverra plus. Celui-ci tire de sa poche
un canif américain, composé de dix à douze lames qui servent à divers
usages. Il ouvre les pattes anguleuses de cet hydre d’acier ; et, muni
d’un pareil scalpel, voyant que le gazon n’avait pas encore disparu sous
la couleur de tant de sang versé, s’apprête, sans pâlir, à fouiller
courageusement le vagin de la malheureuse enfant. De ce trou élargi, il
retire successivement les organes intérieurs ; les boyaux, les poumons,
le foie et enfin le cœur lui-même sont arrachés de leurs fondements
et entraînés à la lumière du jour, par l’ouverture épouvantable. Le
sacrificateur s’aperçoit que la jeune fille, poulet vidé, est morte
depuis longtemps ; il cesse la persévérance croissante de ses ravages,
et laisse le cadavre redormir à l’ombre du platane. On ramassa le canif,
abandonné à quelques pas. Un berger, témoin du crime, dont on n’avait
pas découvert l’auteur, ne le raconta que longtemps après, quand il se
fut assuré que le criminel avait gagné en sûreté les frontières, et
qu’il n’avait plus à redouter la vengeance certaine proférée contre lui,
en cas de révélation. Je plaignis l’insensé qui avait commis ce forfait,
que le législateur n’avait pas prévu, et qui n’avait pas eu de
précédents. Je le plaignis, parce qu’il est probable qu’il n’avait pas
gardé l’usage de la raison, quand il mania le poignard à la lame quatre
fois triple, labourant de fond en comble les parois des viscères. Je le
plaignis, parce que, s’il n’était pas fou, sa conduite honteuse devait
couver une haine bien grande contre ses semblables, pour s’acharner
ainsi sur les chairs et les artères d’un enfant inoffensif, qui fut ma
fille. J’assistai à l’enterrement de ces décombres humains, avec une
résignation muette ; et chaque jour, je viens prier sur une tombe. »
À la fin de cette lecture, l’inconnu ne peut plus garder ses forces et
s’évanouit. Il reprend ses sens, et brûle le manuscrit. Il avait oublié
ce souvenir de sa jeunesse (l’habitude émousse la mémoire !) ; et après
vingt ans d’absence, il revenait dans ce pays fatal. Il n’achètera pas
de bouledogue !... Il ne conversera pas avec les bergers !... Il n’ira pas
dormir à l’ombre des platanes !... Les enfants la poursuivent à coups de
pierre, comme si c’était un merle.
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