Lautréamont(1846-1870) D’autrеs pоèmеs :Lеs gémissеmеnts pоétiquеs dе се sièсlе... Ιl у еn а qui éсrivеnt pоur rесhеrсhеr lеs аpplаudissеmеnts humаins... J’étаblirаi dаns quеlquеs lignеs соmmеnt Μаldоrоr... Lесtеur, с’еst pеut-êtrе lа hаinе quе tu vеuх quе ј’invоquе... Ρlût аu сiеl quе lе lесtеur... Lеs mаgаsins dе lа ruе Viviеnnе... Αvаnt d’еntrеr еn mаtièrе, је trоuvе stupidе... оu еncоrе :Ιl n’еst pаs impоssiblе d’êtrе témоin d’unе déviаtiоn аnоrmаlе... Сеlui qui nе sаit pаs plеurеr... Jе сhеrсhаis unе âmе qui mе rеssеmblât... Éсоutеz lеs pеnséеs dе mоn еnfаnсе...
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LautréamontLes Chants de Maldoror, 1869
Tremdall a touché la main pour la dernière fois, à celui qui s’absente volontairement, toujours fuyant devant lui, toujours l’image de l’homme le poursuivant. Le juif errant se dit que, si le sceptre de la terre appartenait à la race des crocodiles, il ne fuirait pas ainsi. Tremdall, debout sur la vallée, a mis une main devant ses yeux, pour concentrer les rayons solaires, et rendre sa vue plus perçante, tandis que l’autre palpe le sein de l’espace, avec le bras horizontal et immobile. Penché en avant, statue de l’amitié, il regarde, avec des yeux mystérieux comme la mer, grimper sur la pente de la côte, les guêtres du voyageur, aidé de son bâton ferré. La terre semble manquer à ses pieds, et quand même il le voudrait, il ne pourrait retenir ses larmes et ses sentiments : « Il est loin ; je vois sa silhouette cheminer sur un étroit sentier. Où
s’en va-t-il, de ce pas pesant ? Il ne le sait lui-même... Cependant, je
suis persuadé que je ne dors pas : qu’est-ce qui s’approche, et va à la
rencontre de Maldoror ? Comme il est grand, le dragon... plus qu’un
chêne ! On dirait que ses ailes blanchâtres, nouées par de fortes
attaches, ont des nerfs d’acier, tant elles fendent l’air avec aisance.
Son corps commence par un buste de tigre, et se termine par une longue
queue de serpent. Je n’étais pas habitué à voir ces choses. Qu’a-t-il
donc sur le front ? J’y vois écrit, dans une langue symbolique, un mot
que je ne puis déchiffrer. D’un dernier coup d’aile, il s’est transporté
auprès de celui dont je connais le timbre de voix. Il lui a dit : « Je
t’attendais, et toi aussi. L’heure est arrivée ; me voilà. Lis, sur mon
front, mon nom écrit en signes hiéroglyphiques. » Mais lui, à peine
a-t-il vu venir l’ennemi, s’est changé en aigle immense, et se prépare
au combat, en faisant claquer de contentement son bec recourbé, voulant
dire par là qu’il se charge, à lui seul, de manger la partie postérieure
du dragon. Les voilà qui tracent des cercles dont la concentricité
diminue, espionnant leurs moyens réciproques, avant de combattre ; ils
font bien. Le dragon me paraît plus fort ; je voudrais qu’il remportât
la victoire sur l’aigle. Je vais éprouver de grandes émotions, à ce
spectacle où une partie de mon être est engagée. Puissant dragon, je
t’exciterai de mes cris, s’il est nécessaire ; car, il est de l’intérêt
de l’aigle qu’il soit vaincu. Qu’attendent-ils pour s’attaquer ? Je suis
dans des transes mortelles. Voyons, dragon, commence, toi, le premier,
l’attaque. Tu viens de lui donner un coup de griffe sec : ce n’est pas
trop mal. Je t’assure que l’aigle l’aura senti ; le vent emporte la
beauté de ses plumes, tachées de sang. Ah ! l’aigle t’arrache un œil
avec son bec, et, toi, tu ne lui avais arraché que la peau ; il fallait
faire attention à cela. Bravo, prends ta revanche, et casse-lui une
aile ; il n’y a pas à dire, tes dents de tigre sont très bonnes. Si tu
pouvais approcher de l’aigle, pendant qu’il tournoie dans l’espace,
lancé en bas vers la campagne ! Je le remarque, cet aigle t’inspire de
la retenue, même quand il tombe. Il est par terre, il ne pourra pas se
relever. L’aspect de toutes ces blessures béantes m’enivre. Vole à fleur
de terre autour de lui, et, avec les coups de ta queue écaillée de
serpent, achève-le, si tu peux. Courage, beau dragon ; enfonce-lui tes
griffes vigoureuses, et que le sang se mêle au sang, pour former des
ruisseaux où il n’y ait pas d’eau. C’est facile à dire, mais non à
faire. L’aigle vient de combiner un nouveau plan stratégique de défense,
occasionné par les chances malencontreuses de cette lutte mémorable ; il
est prudent. Il s’est assis solidement, dans une position inébranlable,
sur l’aile restante, sur ses deux cuisses, et sur sa queue, qui lui
servait auparavant de gouvernail. Il défie des efforts plus
extraordinaires que ceux qu’on lui a opposés jusqu’ici. Tantôt, il
tourne aussi vite que le tigre, et n’a pas l’air de se fatiguer ; tantôt,
il se couche sur le dos, avec ses deux fortes pattes en l’air, et, avec
sang-froid, regarde ironiquement son adversaire. Il faudra, à bout de
compte, que je sache qui sera le vainqueur ; le combat ne peut pas
s’éterniser. Je songe aux conséquences qu’il en résultera ! L’aigle est
terrible, et fait des sauts énormes qui ébranlent la terre, comme s’il
allait prendre son vol ; cependant, il sait que cela lui est impossible.
Le dragon ne s’y fie pas ; il croit qu’à chaque instant l’aigle va
l’attaquer par le côté où il manque d’œil... Malheureux que je suis !
C’est ce qui arrive. Comment le dragon s’est laissé prendre à la
poitrine ? Il a beau user de la ruse et de la force ; je m’aperçois que
l’aigle, collé à lui par tous ses membres, comme une sangsue, enfonce
de plus en plus son bec, malgré de nouvelles blessures qu’il reçoit,
jusqu’à la racine du cou, dans le ventre du dragon. On ne lui voit que
le corps. Il paraît être à l’aise ; il ne se presse pas d’en sortir. Il
cherche sans doute quelque chose, tandis que le dragon, à la tête de
tigre, pousse des beuglements qui réveillent les forêts. Voilà l’aigle,
qui sort de cette caverne. Aigle, comme tu es horrible ! Tu es plus rouge
qu’une mare de sang ! Quoique tu tiennes dans ton bec nerveux un cœur
palpitant, tu es si couvert de blessures, que tu peux à peine te
soutenir sur tes pattes emplumées ; et que tu chancelles, sans desserrer
le bec, à côté du dragon qui meurt dans d’effroyables agonies. La
victoire a été difficile ; n’importe, tu l’as remportée : il faut, au
moins, dire la vérité... Tu agis d’après les règles de la raison, en te
dépouillant de la forme d’aigle, pendant que tu t’éloignes du cadavre du
dragon. Ainsi donc, Maldoror, tu as été vainqueur ! Ainsi donc, Maldoror,
tu as vaincu l’Espérance ! Désormais, le désespoir se nourrira de ta
substance la plus pure ! Désormais, tu rentres, à pas délibérés, dans la
carrière du mal ! Malgré que je sois, pour ainsi dire, blasé sur la
souffrance, le dernier coup que tu as porté au dragon n’a pas manqué de
se faire sentir en moi. Juge toi-même si je souffre ! Mais tu me fais
peur. Voyez, voyez, dans le lointain, cet homme qui s’enfuit. Sur lui,
terre excellente, la malédiction a poussé son feuillage touffu ; il est
maudit et il maudit. Où portes-tu tes sandales ? Où t’en vas-tu, hésitant
comme un somnambule, au-dessus d’un toit ? Que ta destinée perverse
s’accomplisse ! Maldoror, adieu ! Adieu, jusqu’à l’éternité, où nous ne
nous retrouverons pas ensemble ! »
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