Lautréamont(1846-1870) D’autrеs pоèmеs :Lеs gémissеmеnts pоétiquеs dе се sièсlе... Ιl у еn а qui éсrivеnt pоur rесhеrсhеr lеs аpplаudissеmеnts humаins... J’étаblirаi dаns quеlquеs lignеs соmmеnt Μаldоrоr... Lесtеur, с’еst pеut-êtrе lа hаinе quе tu vеuх quе ј’invоquе... Ρlût аu сiеl quе lе lесtеur... Lеs mаgаsins dе lа ruе Viviеnnе... Αvаnt d’еntrеr еn mаtièrе, је trоuvе stupidе... оu еncоrе :Τrеmdаll а tоuсhé lа mаin pоur lа dеrnièrе fоis... Unе pоtеnсе s’élеvаit sur lе sоl...
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LautréamontLes Chants de Maldoror, 1869
C’était une journée de printemps. Les oiseaux répandaient leurs
cantiques en gazouillements, et les humains, rendus à leurs différents
devoirs, se baignaient dans la sainteté de la fatigue. Tout travaillait
à sa destinée : les arbres, les planètes, les squales. Tout, excepté le
Créateur ! Il était étendu sur la route, les habits déchirés. Sa lèvre
inférieure pendait comme un câble somnifère ; ses dents n’étaient pas
lavées, et la poussière se mêlait aux ondes blondes de ses cheveux.
Engourdi par un assoupissement pesant, broyé contre les cailloux, son
corps faisait des efforts inutiles pour se relever. Ses forces l’avaient
abandonné, et il gisait, là, faible comme le ver de terre, impassible
comme l’écorce. Des flots de vin remplissaient les ornières, creusées
par les soubresauts nerveux de ses épaules. L’abrutissement, au groin
de porc, le couvrait de ses ailes protectrices, et lui jetait un regard
amoureux. Ses jambes, aux muscles détendus, balayaient le sol, comme
deux mâts aveugles. Le sang coulait de ses narines : dans sa chute, sa
figure avait frappé contre un poteau... Il était soûl ! Horriblement
soûl ! Soûl comme une punaise qui a mâché pendant la nuit trois tonneaux
de sang ! Il remplissait l’écho de paroles incohérentes, que je me
garderai de répéter ici ; si l’ivrogne suprême ne se respecte pas, moi,
je dois respecter les hommes. Saviez-vous que le Créateur... se soûlât !
Pitié pour cette lèvre, souillée dans les coupes de l’orgie ! Le
hérisson, qui passait, lui enfonça ses pointes dans le dos, et dit : « Ça,
pour toi. Le soleil est à la moitié de sa course : travaille, fainéant,
et ne mange pas le pain des autres. Attends un peu, et tu vas voir, si
j’appelle le kakatoès, au bec crochu. » Le pivert et la chouette, qui
passaient, lui enfoncèrent le bec entier dans le ventre, et dirent : « Ça,
pour toi. Que viens-tu faire sur cette terre ? Est-ce pour offrir cette
lugubre comédie aux animaux ? Mais, ni la taupe, ni le casoar, ni le
flammant ne t’imiteront, je te le jure. » L’âne, qui passait, lui donna
un coup de pied sur la tempe, et dit : « Ça, pour toi. Que t’avais-je fait
pour me donner des oreilles si longues ? Il n’y a pas jusqu’au grillon
qui ne me méprise. » Le crapaud, qui passait, lança un jet de bave sur
son front, et dit : « Ça, pour toi. Si tu ne m’avais fait l’œil si gros,
et que je t’eusse aperçu dans l’état où je te vois, j’aurais chastement
caché la beauté de tes membres sous une pluie de renoncules, de myosotis
et de camélias, afin que nul ne te vît. » Le lion, qui passait, inclina
sa face royale, et dit : « Pour moi, je le respecte, quoique sa splendeur
nous paraisse pour le moment éclipsée. Vous autres, qui faites les
orgueilleux, et n’êtes que des lâches, puisque vous l’avez attaqué quand
il dormait, seriez-vous contents, si, mis à sa place, vous supportiez,
de la part des passants, les injures que vous ne lui avez pas
épargnées ? » L’homme, qui passait, s’arrêta devant le Créateur méconnu ;
et, aux applaudissements du morpion et de la vipère, fienta, pendant
trois jours, sur son visage auguste ! Malheur à l’homme, à cause de cette
injure ; car, il n’a pas respecté l’ennemi, étendu dans le mélange de
boue, de sang et de vin ; sans défense et presque inanimé !... Alors, le
Dieu souverain, réveillé enfin, par toutes ces insultes mesquines, se
releva comme il put ; en chancelant, alla s’asseoir sur une pierre, les
bras pendants, comme les deux testicules du poitrinaire ; et jeta un
regard vitreux, sans flamme, sur la nature entière, qui lui appartenait.
Ô humains, vous êtes les enfants terribles ; mais, je vous en supplie,
épargnons cette grande existence, qui n’a pas encore fini de cuver la
liqueur immonde, et, n’ayant pas conservé assez de force pour se tenir
droite, est retombée, lourdement, sur cette roche, où elle s’est assise,
comme un voyageur. Faites attention à ce mendiant qui passe ; il a vu que
le derviche tendait un bras affamé, et, sans savoir à qui il faisait
l’aumône, il a jeté un morceau de pain dans cette main qui implore
la miséricorde. Le Créateur lui a exprimé sa reconnaissance par un
mouvement de tête. Oh ! vous ne saurez jamais comme de tenir constamment
les rênes de l’univers devient une chose difficile ! Le sang monte
quelquefois à la tête, quand on s’applique à tirer du néant une dernière
comète, avec une nouvelle race d’esprits. L’intelligence, trop remuée de
fond en comble, se retire comme un vaincu, et peut tomber, une fois dans
la vie, dans les égarements dont vous avez été témoins !
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