Lamartine


La Retraite


 

                       
À M. de C***


        Aux bords de ton lac enchanté,
Loin des sots préjugés que l’erreur déifie,
Couvert du bouclier de ta philosophie,
Le temps n’emporte rien de ta félicité ;
Ton matin fut brillant ; et ma jeunesse envie
L’azur calme et serein du beau soir de ta vie !
 
        Ce qu’on appelle nos beaux jours
N’est qu’un éclair brillant dans une nuit d’orage,
        Et rien, excepté nos amours,
        N’y mérite un regret du sage ;
        Mais, que dis-je ? on aime à tout âge :
Ce feu durable et doux, dans l’âme renfermé,
Donne plus de chaleur en jetant moins de flamme ;
C’est le souffle divin dont tout l’homme est formé,
        Il ne s’éteint qu’avec son âme.
 
Étendre son esprit, resserrer ses désirs,
C’est là ce grand secret ignoré du vulgaire :
Tu le connais, ami ; cet heureux coin de terre
Renferme tes amours, tes goûts et tes plaisirs ;
Tes vœux ne passent point ton champêtre domaine,
Mais ton esprit plus vaste étend son horizon,
        Et, du monde embrassant la scène,
Le flambeau de l’étude éclaire ta raison.
 
Tu vois qu’aux bords du Tibre, et du Nil et du Gange,
En tous lieux, en tous temps, sous des masques divers,
L’homme partout est l’homme, et qu’en cet univers,
Dans un ordre éternel tout passe et rien ne change ;
Tu vois les nations s’éclipser tour à tour
        Comme les astres dans l’espace,
        De mains en mains le sceptre passe,
Chaque peuple a son siècle, et chaque homme a son jour ;
        Sujets à cette loi suprême,
        Empire, gloire, liberté,
        Tout est par le temps emporté,
        Le temps emporta les dieux même
        De la crédule antiquité,
Et ce que des mortels dans leur orgueil extrême
        Osaient nommer la vérité.
 
        Au milieu de ce grand nuage,
        Réponds-moi : que fera le sage
Toujours entre le doute et l’erreur combattu ?
Content du peu de jours qu’il saisit au passage,
        Il se hâte d’en faire usage
        Pour le bonheur et la vertu.
 
J’ai vu ce sage heureux ; dans ses belles demeures
        J’ai goûté l’hospitalité,
À l’ombre du jardin que ses mains ont planté,
Aux doux sons de sa lyre il endormait les heures
        En chantant sa félicité.
Soyez touché, grand Dieu, de sa reconnaissance.
Il ne vous lasse point d’un inutile vœu ;
Gardez-lui seulement sa rustique opulence,
Donnez tout à celui qui vous demande peu.
        Des doux objets de sa tendresse
Qu’à son riant foyer toujours environné,
Sa femme et ses enfants couronnent sa vieillesse,
Comme de ses fruits mûrs un arbre est couronné.
Que sous l’or des épis ses collines jaunissent ;
Qu’au pied de son rocher son lac soit toujours pur ;
Que de ses beaux jasmins les ombres s’épaississent ;
Que son soleil soit doux, que son ciel soit d’azur,
Et que pour l’étranger toujours ses vins mûrissent.
 
Pour moi, loin de ce port de la félicité,
Hélas ! par la jeunesse et l’espoir emporté,
Je vais tenter encore et les flots et l’orage ;
Mais, ballotté par l’onde et fatigué du vent,
        Au pied de ton rocher sauvage,
        Ami, je reviendrai souvent
Rattacher, vers le soir, ma barque à ton rivage.
 

Méditations poétiques, 1820

Commentaire (s)

Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Αssоuсу : «Ρоurquоi dоnс, Sехе аu tеint dе rоsе...»

Viоn Dаlibrау : «Αimе, si tu lе vеuх, је nе l’еmpêсhе pаs...»

Βоurgеt : Lа Rоmаnсе d’Αriеl

Rоussеаu : Lе Rоssignоl еt lа Grеnоuillе

Αpоllinаirе : Lе Drоmаdаirе

Соignаrd : «Οbsсurе nuit, lаissе tоn nоir mаntеаu...»

Lаfоrguе : Βоufféе dе printеmps

Τоulеt : «Si vivrе еst un dеvоir...»

Ρéguу : Ρrésеntаtiоn dе lа Βеаuсе à Νоtrе-Dаmе dе Сhаrtrеs

☆ ☆ ☆ ☆

Vеrlаinе : L’Αubеrgе

Vеrlаinе : À Hоrаtiо

Соrnеillе : Sоnnеt : «Dеuх sоnnеts pаrtаgеnt lа villе...»

Fоurеst : Sаrdinеs à l’huilе

Sullу Ρrudhоmmе : Lеs Сhаînеs

Ρоnсhоn : Lе Gigоt

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Αimе, si tu lе vеuх, је nе l’еmpêсhе pаs...» (Viоn Dаlibrау)

De Сосhоnfuсius sur Τаblе dе Sаgеssе (Sеgаlеn)

De Сосhоnfuсius sur Lе Vоl nосturnе (Sаint-Αmаnt)

De Ιоhаnnеs sur Ρrièrе dе соnfidеnсе (Ρéguу)

De Сurаrе- sur Lеs Fеuillеs mоrtеs (Gоurmоnt)

De Lilith sur Vеrlаinе

De Μоntеrrоsо sur Lа Μоuсhе (Αpоllinаirе)

De Jаdis sur Саrоlо Quintо impеrаntе (Hеrеdiа)

De Сurаrе- sur Sоnnеt : «Un livrе n’аurаit pаs suffi...» (Ρrivаt d'Αnglеmоnt)

De Τrуphоn Τоurnеsоl sur À unе mуstériеusе (Rоllinаt)

De Сurаrе- sur L’Αngе (Lоuÿs)

De Αlbаtrосе sur «Dоuсе plаgе оù nаquit mоn âmе...» (Τоulеt)

De Gеf sur À Μ. Α. Τ. : «Αinsi, mоn сhеr аmi, vоus аllеz dоnс pаrtir !...» (Μussеt)

De Gеf sur Villеs : «Се sоnt dеs villеs !...» (Rimbаud)

De Jаdis sur Τаblеаu (Сrоs)

De Βibоsаurе sur À Αlf. Τ. : «Qu’il еst dоuх d’êtrе аu mоndе, еt quеl biеn quе lа viе !...» (Μussеt)

De Βоurg sur «Lоngtеmps si ј’аi dеmеuré sеul...» (Τоulеt)

De Jаdis sur Épigrаmmе d’аmоur sur sоn nоm (Αubеspinе)

De Ιsis Μusе sur Lа grоssе dаmе сhаntе... (Ρеllеrin)

De Dаmе dе flаmmе sur Сhаnsоn dе lа mélаnсоliе (Fоrt)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе