Lamartine

Nouvelles Méditations poétiques, 1823


Chant d’Amour


 

Naples, 1822.


Si tu pouvais jamais égaler, ô ma lyre,
Le doux frémissement des ailes du zéphyre
          À travers les rameaux,
Ou l’onde qui murmure en caressant ces rives,
Ou le roucoulement des colombes plaintives,
          Jouant aux bords des eaux ;
 
Si, comme ce roseau qu’un souffle heureux anime,
Tes cordes exhalaient ce langage sublime,
          Divin secret des cieux,
Que, dans le pur séjour où l’esprit seul s’envole,
Les anges amoureux se parlent sans parole,
          Comme les yeux aux yeux ;
 
Si de ta douce voix la flexible harmonie,
Caressant doucement une âme épanouie
          Au souffle de l’amour,
La berçait mollement sur de vagues images,
Comme le vent du ciel fait flotter les nuages
          Dans la pourpre du jour :
 
Tandis que sur les fleurs mon amante sommeille,
Ma voix murmurerait tout bas à son oreille
          Des soupirs, des accords,
Aussi purs que l’extase où son regard me plonge,
Aussi doux que le son que nous apporte un songe
          Des ineffables bords !
 
Ouvre les yeux, dirais-je, ô ma seule lumière !
Laisse-moi, laisse-moi lire dans ta paupière
          Ma vie et ton amour !
Ton regard languissant est plus cher à mon âme
Que le premier rayon de la céleste flamme
          Aux yeux privés du jour.
 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
 
Un de ses bras fléchit sous son cou qui le presse,
L’autre sur son beau front retombe avec mollesse,
          Et le couvre à demi :
Telle, pour sommeiller, la blanche tourterelle
Courbe son cou d’albâtre et ramène son aile
          Sur son œil endormi !
 
Le doux gémissement de son sein qui respire
Se mêle au bruit plaintif de l’onde qui soupire
          À flots harmonieux ;
Et l’ombre de ses cils, que le zéphyr soulève,
Flotte légèrement comme l’ombre d’un rêve
          Qui passe sur ses yeux !
 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
 
Que ton sommeil est doux, ô vierge ! ô ma colombe !
Comme d’un cours égal ton sein monte et retombe
          Avec un long soupir !
Deux vagues que blanchit le rayon de la lune,
D’un mouvement moins doux viennent l’une après l’une
          Murmurer et mourir !
 
Laisse-moi respirer sur ces lèvres vermeilles
Ce souffle parfumé !... Qu’ai-je fait ? Tu t’éveilles :
          L’azur voilé des cieux
Vient chercher doucement ta timide paupière ;
Mais toi, ton doux regard, en voyant la lumière,
          N’a cherché que mes yeux !
 
Ah ! que nos longs regards se suivent, se prolongent,
Comme deux purs rayons l’un dans l’autre se plongent,
          Et portent tour à tour
Dans le cœur l’un de l’autre une tremblante flamme,
Ce jour intérieur que donne seul à l’âme
          Le regard de l’amour !
 
Jusqu’à ce qu’une larme aux bords de ta paupière,
De son nuage errant te cachant la lumière,
          Vienne baigner tes yeux,
Comme on voit, au réveil d’une charmante aurore,
Les larmes du matin, qu’elle attire et colore,
          L’ombrager dans les cieux.
 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
 
    Parle-moi ! Que ta voix me touche !
    Chaque parole sur ta bouche
    Est un écho mélodieux !
    Quand ta voix meurt dans mon oreille,
    Mon âme résonne et s’éveille,
    Comme un temple à la voix des dieux !
 
    Un souffle, un mot, puis un silence,
    C’est assez : mon âme devance
    Le sens interrompu des mots,
    Et comprend ta voix fugitive,
    Comme le gazon de la rive
    Comprend le murmure des flots.
 
    Un son qui sur ta bouche expire,
    Une plainte, un demi-sourire,
    Mon cœur entend tout sans effort :
    Tel, en passant par une lyre,
    Le souffle même du zéphyre
    Devient un ravissant accord !
 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
 
Pourquoi sous tes cheveux me cacher ton visage ?
Laisse mes doigts jaloux écarter ce nuage :
Rougis-tu d’être belle, ô charme de mes yeux ?
L’aurore, ainsi que toi, de ses roses s’ombrage.
Pudeur ! honte céleste ! instinct mystérieux,
Ce qui brille le plus se voile davantage ;
Comme si la beauté, cette divine image,
    N’était faite que pour les cieux !
 
      Tes yeux sont deux sources vives
      Où vient se peindre un ciel pur,
      Quand les rameaux de leurs rives
      Leur découvrent son azur.
      Dans ce miroir retracées,
      Chacune de tes pensées
      Jette en passant son éclair,
      Comme on voit sur l’eau limpide
      Flotter l’image rapide
      Des cygnes qui fendent l’air !
 
      Ton front, que ton voile ombrage
      Et découvre tour à tour,
      Est une nuit sans nuage
      Prête à recevoir le jour ;
      Ta bouche, qui va sourire,
      Est l’onde qui se retire
      Au souffle errant du zéphyr,
      Et, sur ces bords qu’elle quitte,
      Laisse au regard qu’elle invite,
      Compter les perles d’Ophyr !
 
      Ton cou, penché sur l’épaule,
      Tombe sous son doux fardeau,
      Comme les branches du saule
      Sous le poids d’un passereau ;
      Ton sein, que l’œil voit à peine
      Soulevant à chaque haleine
      Le poids léger de ton cœur,
      Est comme deux tourterelles
      Qui font palpiter leurs ailes
      Dans la main de l’oiseleur.
 
      Tes deux mains sont deux corbeilles
      Qui laissent passer le jour ;
      Tes doigts de roses vermeilles
      En couronnent le contour.
      Sur le gazon qui l’embrasse
      Ton pied se pose, et la grâce,
      Comme un divin instrument,
      Aux sons égaux d’une lyre
      Semble accorder et conduire
      Ton plus léger mouvement.
 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
 
Pourquoi de tes regards percer ainsi mon âme ?
Baisse, oh ! baisse tes yeux pleins d’une chaste flamme :
          Baisse-les, ou je meurs.
Viens plutôt, lève-toi ! Mets ta main dans la mienne,
Que mon bras arrondi t’entoure et te soutienne
          Sur ces tapis de fleurs.
 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
 
Aux bords d’un lac d’azur il est une colline
Dont le front verdoyant légèrement s’incline
          Pour contempler les eaux ;
Le regard du soleil tout le jour la caresse,
Et l’haleine de l’onde y fait flotter sans cesse
          Les ombres des rameaux.
 
Entourant de ses plis deux chênes qu’elle embrasse,
Une vigne sauvage à leurs rameaux s’enlace,
          Et, couronnant leurs fronts,
De sa pâle verdure éclaircit leur feuillage,
Puis sur des champs coupés de lumière et d’ombrage
          Court en riants festons.
 
Là, dans les flancs creusés d’un rocher qui surplombe,
S’ouvre une grotte obscure, un nid où la colombe
          Aime à gémir d’amour ;
La vigne, le figuier, la voilent, la tapissent,
Et les rayons du ciel, qui lentement s’y glissent,
          Y mesurent le jour.
 
La nuit et la fraîcheur de ces ombres discrètes
Conservent plus longtemps aux pâles violettes
          Leurs timides couleurs ;
Une source plaintive en habite la voûte,
Et semble sur vos fronts distiller goutte à goutte
          Des accords et des pleurs.
 
Le regard, à travers ce rideau de verdure,
Ne voit rien que le ciel et l’onde qu’il azure ;
          Et sur le sein des eaux
Les voiles du pêcheur, qui, couvrant sa nacelle,
Fendent ce ciel limpide, et battent comme l’aile
          Des rapides oiseaux.
 
L’oreille n’entend rien qu’une vague plaintive
Qui, comme un long baiser, murmure sur sa rive,
          Ou la voix des zéphyrs,
Ou les sons cadencés que gémit Philomèle,
Ou l’écho du rocher, dont un soupir se mêle
          À nos propres soupirs.
 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
 
    Viens, cherchons cette ombre propice
    Jusqu’à l’heure où de ce séjour
    Les fleurs fermeront leur calice
    Aux regards languissants du jour.
    Voilà ton ciel, ô mon étoile !
    Soulève, oh ! soulève ce voile,
    Éclaire la nuit de ces lieux ;
    Parle, chante, rêve, soupire,
    Pourvu que mon regard attire
    Un regard errant de tes yeux.
 
    Laisse-moi parsemer de roses
    La tendre mousse où tu t’assieds,
    Et près du lit où tu reposes
    Laisse-moi m’asseoir à tes pieds.
    Heureux le gazon que tu foules,
    Et le bouton dont tu déroules
    Sous tes doigts les fraîches couleurs !
    Heureuses ces coupes vermeilles
    Que pressent tes lèvres, pareilles
    Aux frelons qui tètent les fleurs !
 
    Si l’onde des lis que tu cueilles
    Roule les calices flétris,
    Des tiges que ta bouche effeuille
    Si le vent m’apporte un débris,
    Si ta bouche qui se dénoue
    Vient, en ondulant sur ma joue,
    De ma lèvre effleurer le bord ;
    Si ton souffle léger résonne,
    Je sens sur mon front qui frissonne
    Passer les ailes de la mort.
 
    Souviens-toi de l’heure bénie
    Où les dieux, d’une tendre main,
    Te répandirent sur ma vie
    Comme l’ombre sur le chemin.
    Depuis cette heure fortunée,
    Ma vie à ta vie enchaînée,
    Qui s’écoule comme un seul jour,
    Est une coupe toujours pleine,
    Où mes lèvres à longue haleine
    Puisent l’innocence et l’amour.
 
    Ah ! lorsque mon front qui s’incline
    Chargé d’une douce langueur,
    S’endort bercé sur ta poitrine
    Par le mouvement de ton cœur...
 
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
 
Un jour, le temps jaloux, d’une haleine glacée,
Fanera tes couleurs comme une fleur passée
          Sur ces lits de gazon ;
Et sa main flétrira sur tes charmantes lèvres
Ces rapides baisers, hélas ! dont tu me sèvres
          Dans leur fraîche saison.
 
Mais quand tes yeux, voilés d’un nuage de larmes,
De ces jours écoulés qui t’ont ravi tes charmes
          Pleureront la rigueur ;
Quand dans ton souvenir, dans l’onde du rivage
Tu chercheras en vain ta ravissante image,
          Regarde dans mon cœur !
 
Là ta beauté fleurit pour des siècles sans nombre ;
Là ton doux souvenir veille à jamais à l’ombre
          De ma fidélité,
Comme une lampe d’or dont une vierge sainte
Protège avec la main, en traversant l’enceinte,
          La tremblante clarté.
 
Et quand la mort viendra, d’un autre amour suivie,
Éteindre en souriant de notre double vie
          L’un et l’autre flambeau,
Qu’elle étende ma couche à côté de la tienne,
Et que ta main fidèle embrasse encor la mienne
          Dans le lit du tombeau.
 
Ou plutôt puissions-nous passer sur cette terre,
Comme on voit en automne un couple solitaire
          De cygnes amoureux
Partir, en s’embrassant, du nid qui les rassemble,
Et vers les doux climats qu’ils vont chercher ensemble
          S’envoler deux à deux.
 

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