Jules Laforgue


Litanies nocturnes


 
C’est la Nuit, la nuit calme, immense.
Aux cieux d’étoiles éblouis
Les mondes roulent assoupis
Dans les flots épais du silence.
 
 

*


 
Sur la Terre, là-bas, en France
Et sur ce point nommé Paris,
Un gueux n’a pas même un radis
Pour se lester un peu la panse.
 
Pas un radis. En conséquence
Il crève au fond de son taudis,
En criant : Dieu, je te maudis !
C’est la nuit calme et le silence.
 
 

*


 
Dans sa cellule un Penseur pense.
Oh ! dans ce monde que tu fis
Pourquoi Seigneur avoir donc mis
Le Mal, le Doute et la Souffrance ?
 
Comment nier ton existence
Quand aux abîmes infinis
Par tes œuvres tu resplendis
Vêtu de gloire et d’évidence ?
 
Pourtant... Mais non ! toute science
Est vaine ! Ô ma raison fléchis
Devant les gouffres interdits,
Descendez torrents de croyance !
 
Mais, Seigneur, j’en ai l’espérance,
Oh ! n’est-ce pas, tu le promis
Il est là haut un Paradis ?
C’est la nuit calme et le silence.
 
 

*


 
Ô Justice, divine essence,
Pourquoi les méchants impunis,
Les justes par le sort flétris
Et la misère et l’opulence ?
 
Pourquoi l’angoisse et l’ignorance
Devant l’Énigme qui m’a pris
Tout est-il seul ? Oh ! je frémis !
C’est la nuit calme et le silence.
 
 

*


 
Un moine vers l’autel s’avance,
Baise ardemment le crucifix
Et là, le front sur le parvis
Frappe son sein avec violence.
 
Christ, ai-je assez fait pénitence ?
Voilà quarante ans que je vis
Tuant la chair avec mépris
Dans le jeûne et la continence.
 
Si vous agréez ma constance,
Christ, daignez faire que pour prix
Je monte à vous les yeux ravis !
C’est la nuit calme et le silence.
 
 

*


 
Ah ! pitié ! Sainte Providence !
Crie une mère au pied du lit
Où dort son fils, les traits pâlis, —
Oh ! j’implore votre assistance.
 
Mais douter serait une offense !
Et puis tant d’autres sont guéris
Oh ! n’est-ce pas ? Je vous bénis.
C’est la nuit calme et le silence.
 
 

*


 
Un débauché faisant bombance :
D’autres te prient, moi, je ne puis,
Vois, j’ai des vices assortis
Et des écus en abondance.
 
De quoi ? ta vieille omnipotence !
Ah ! parbleu, Jéovah, j’en ris.
Et tiens, relève les défis
Que ce ver de terre te lance !
 
Foudroie un peu mon insolence !
Tu sais, je tiens tous mes paris,
Eh bien si tu m’anéantis,
Un beau cierge pour récompense !
 
J’attends, allons, pas d’indulgence !
C’est dit ? tu ne veux pas ? tant pis.
Ç’eût été drôle et même exquis.
Garçon, du jambon de Mayence !
 
C’est la nuit calme et le silence.
 
 

*


 
Loi sans cœur et sans conscience,
Vainement je t’approfondis,
Éternellement tu souris
Ivre de ton indifférence.
 
Va, je mourrai sans doléance
Mais du moins que je sache ! Oh ! dis
Quel est le but que tu poursuis ?
C’est la nuit calme et le silence.
 
 

*


 
On te blasphème et l’on t’encense
Et jamais tu ne répondis,
Les mortels en sont ébahis,
Ce qui t’absout c’est ton absence.
 
Toi seule es, Nature, Substance,
Sans repos tu nous engloutis
Et toujours tu nous repétris
Pour la mort et la renaissance.
 
Hors de toi, Brahm, rien qu’apparence.
Heureux l’ascète et les esprits
De l’Illusion affranchis
Devant l’éternelle muance.
 
Néant, gouffre de délivrance,
Dans ton linceul aux vastes plis
Repose-nous ensevelis !
C’est la nuit calme et le silence.
 
Et la terre roule en démence
Éteignant sa rumeur de cris
Par les espaces endormis
Dans la vaste magnificence.
 

27 octobre 1880.

Le Sanglot de la Terre (et autres premiers poèmes)

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