La Fontaine


L’Amour mouillé

Imité d’Anacréon


J’étais couché mollement,
Et contre mon ordinaire
Je dormais tranquillement,
Quand un enfant s’en vint faire
À ma porte quelque bruit.
Il pleuvait fort cette nuit :
Le vent, le froid, et l’orage
Contre l’enfant faisaient rage.
Ouvrez, dit-il, je suis nu.
Moi charitable et bon homme
J’ouvre au pauvre morfondu
Et m’enquiers comme il se nomme.
Je te le dirai tantôt,
Repartit-il, car il faut
Qu’auparavant je m’essuie.
J’allume aussitôt du feu.
Il regarde si la pluie
N’a point gâté quelque peu
Un arc dont je me méfie.
Je m’approche toutefois
Et de l’enfant prends les doigts,
Les réchauffe ; et dans moi-même
Je dis : Pourquoi craindre tant ?
Que peut-il ? c’est un enfant :
Ma couardise est extrême
D’avoir eu le moindre effroi
Que serait-ce si chez moi
J’avais reçu Polyphème ?
L’enfant, d’un air enjoué,
Ayant un peu secoué
Les pièces de son armure
Et sa blonde chevelure,
Prend un trait, un trait vainqueur,
Qu’il me lance au fond du cœur.
Voilà, dit-il, pour ta peine.
Souviens-toi bien de Clymène,
Et de l’Amour, c’est mon nom.
Ah ! je vous connais, lui dis-je,
Ingrat et cruel garçon !
Faut-il que qui vous oblige
Soit traité de la façon !
Amour fit une gambade,
Et le petit scélérat
Me dit : Pauvre camarade,
Mon arc est en bon état,
Mais ton cœur est bien malade.
 

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