Francis Jammes

De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir, 1898


Une feuille morte tombe


 
Une feuille morte tombe, puis une autre, des platanes
dont la cime au soleil semble de corne pâle,
et j’entends des cailloux froids que les hommes cassent.
 
Je ne sais où les fleurs du jardin sont allées.
Sous le frisson brillant de la nuit des rosées,
les derniers géraniums lourds fleurissent glacés.
 
Une enfant rouge est immobile sur la route
et, dans l’allée grinçante, picore une poule rousse,
deux poules rousses aux ondulations douces.
 
Les pissenlits amers et laiteux des prairies
s’espacent, et l’arbousier donne ses fades fruits
aux lèvres des tendres petites filles.
 
Telle est la vie. J’ai vu, haut, devant ses brebis,
et défaisant de l’air à sa flûte de buis,
le berger les compter une à une, et puis
 
se remettre à marcher à côté de son âne
qui portait les bidons vers la brumeuse montagne
où les herbes odoriférantes font le bon fromage.
 
Entre les haies fanées les dernières mélisses
à l’odeur fade et forte, aux fleurs blanches, flétrissent
sans que l’abeille d’or, aux ailes nervées, y glisse.
 
Dans le buffet poli les poires sont trop mûres
et, de la treille jaune, il tombe au pied du mur
des grains de raisins noirs que le froid rend durs.
 
Les premiers petit-houx, coriaces et piquants,
portent des boules lisses, rouges comme du sang,
dont on fait des bouquets d’automne charmants.
 
Engourdie par le froid, au soleil se repose
une sauterelle. Là-bas une belle rose
éclatée va mourir comme meurent les choses...
 
Il est loin, le jardin d’Été où sont les sauges,
où, près des tomates écarlates et des roses,
tombait le triste et blanc calme des Dimanches chauds.
 
Il est bien loin ce jour où j’ai pensé à toi
avant de te connaître, en traversant les bois,
mes chiens devant, sous le mouillé soleil matinal.
 
Alors, la noire épaisseur des feuilles ne laissait
que par moments entrevoir la vue, et c’était,
dans mon cœur et mes yeux, la clarté des vallées.
 
Alors, c’était des montagnes claires comme la pensée
la plus pure, c’était des pics violets,
c’était un tremblement rose sur les sommets.
 
C’était des larmes dans mon cœur et des sourires
plus divinement doux que ceux des petites filles
qui essaient sagement leurs premières aiguilles.
 
Il est bien loin ce jour où j’ai pensé à toi,
où, dans mon âme, planèrent comme des voix
d’anges, quand j’eus franchi la lisière du bois.
 
Mon âme grave se prosterna sur la grand-route.
Une espèce de chose religieuse et douce
nageait dans l’azur pur où peinaient les bœufs roux...
 
C’était comme un chant que l’on n’entend pas,
comme un mendiant d’hiver qui traîne ses pas
vers la paille d’auberge où la nuit l’endormira.
 
Ce jour-là, tout à coup, dans une grande tendresse,
le village, à genoux et triste, s’est montré
et, des acacias, il tombait des caresses.
 
Les canards, balançant leurs pieds, allaient aux mares.
Les vignes bleues couraient sous les fenêtres noires,
et l’on entendait, dans l’école communale,
 
le murmure d’abeilles que font les alphabets,
lorsque les enfants doux chantent l’A, B, C, D
devant les beaux tableaux de sciences utiles.
 
Sur les vieux seuils brisés où les vieillards filent,
du ciel bleu se posait comme près d’une rive
se pose le martin-pêcheur aux plumes vives.
 
Maintenant tu es loin, petite caressante.
Où est ta gorge tendue et mince, et ta hanche
qui s’arrondit et se ramasse comme une vague ?
 
Je te revois avec tes cheveux noirs comme une hirondelle,
tes yeux beaux comme toi, ta bouche un peu épaisse,
et ton cou pur, large à l’épaule, et volontaire.
 
Nous rîmes. Je te disais : oh ! tu as l’air
d’une de ces vieilles gravures de dans Musset
où on est sur un âne sur de la mousse.
 
Alors tu m’embrassais. Ton tremblement de rire aigu
se mêlait aux baisers de nos lèvres confondues...
Puis nous redevenions sérieux et tout seuls.
 
Et tu regardais sur mon grand chapeau de soleil,
que j’avais posé là, une branche de glaïeul
que j’y avais jetée négligemment.
 

                                 
1897.

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Vеrlаinе : Vеrs dоrés

Ρоzzi : Νух

Ο’Νеddу : Μаdоnnа соl bаmbinо

Соppéе : Un fils

Соppéе : «À Ρаris, еn été...»

Τhаlу : L’Îlе lоintаinе

Vеrlаinе : Éсrit еn 1875

Fаrguе : Ιntériеur

Jаmmеs : Quаnd vеrrаi-је lеs îlеs

Vеrlаinе : À Gеrmаin Νоuvеаu

☆ ☆ ☆ ☆

Соppéе : Unе sаintе

Du Βеllау : «Сеnt fоis plus qu’à lоuеr оn sе plаît à médirе...»

Rоllinаt : Lа Débâсlе

Klingsоr : L’Αttеntе inutilе

Τhаlу : Εsсlаvаgе

Соppéе : Τristеmеnt

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «D’un sоmmеil plus trаnquillе à mеs Αmоurs rêvаnt...» (Viаu)

De Сосhоnfuсius sur «Lеttrе, dе mоn аrdеur véritаblе intеrprètе...» (Rоnsаrd)

De Сосhоnfuсius sur Lа Сhаpеllе аbаndоnnéе (Fоrt)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Jаdis sur Épitаphе d’un сhiеn (Μаllеvillе)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

De Jаdis sur «Αh ! Sеignеur, Diеu dеs сœurs rоbustеs, répоndеz !...» (Guérin)

De Jаdis sur Splееn : «Jе suis соmmе lе rоi...» (Βаudеlаirе)

De Ιо Kаnааn sur Сrоquis (Сrоs)

De Сurаrе- sur À un sоt аbbé dе quаlité (Sаint-Ρаvin)

De Τristаn Βеrnаrd sur Lеs Соnquérаnts (Hеrеdiа)

De Lа Μusérаntе sur Sоnnеt dе Ρоrсеlаinе (Viviеn)

De Dаmе dе flаmmе sur «Du tristе сœur vоudrаis lа flаmmе étеindrе...» (Sаint-Gеlаis)

De Сurаrе- sur «С’еst оrеs, mоn Vinеus, mоn сhеr Vinеus, с’еst оrе...» (Du Βеllау)

De Wеbmаstеr sur Lа Ρеtitе Ruе silеnсiеusе (Fоrt)

De Dаmе dе flаmmе sur «Τоi qui trоublеs lа pаiх dеs nоnсhаlаntеs еаuх...» (Βеrnаrd)

De Xi’аn sur Μirlitоn (Соrbièrе)

De Xi’аn sur «Αimеz-vоus l’оdеur viеillе...» (Μilоsz)

De krm sur Vеrlаinе

De Сurаrе= sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе