Hugo

[Poèmes de jeunesse]


Mes adieux à l’enfance


                  Eheu !... Posthume ! Posthume !...
Août 1818. Lu au Banquet Littéraire.
Le 6 septembre 1818 — 3ème séance.


Adieu, beaux jours de mon enfance,
Qu’un instant fit évanouir,
Bonheur, qui fuis sans qu’on pense,
Qu’on sent trop peu pour en jouir ;
Plaisirs que mon âme inquiète
Dédaignait sans savoir pourquoi,
Vous n’êtes plus, et je regrette
De vous voir déjà loin de moi !
Reviens, bel âge que je pleure,
Ou de moins renais dans mes chants ;
Je veux de songes séduisants
Me bercer avant que je meure,
Et quand viendra ma dernière heure,
Rêver encor mes premiers ans.
 
Ô mes amis, votre mémoire,
Fidèle à nos jeunes transports,
Vous retrace, j’aime à le croire,
Nos plaisirs, exempts de remords,
Et nos jeux, non exempts de gloire.
Vous souvient-il de nos débats,
Moins sanglants que ceux de l’histoire ?
Dans nos joûtes, dans nos combats,
Rien ne manquait à la victoire,
Sinon que l’on n’y pleurait pas.
Qu’avec douceur je me rappelle
Ces jours où, tournant dans nos mains
Nos mouchoirs, tordus avec zèle
Et durcis exprès pour nos reins,
Nous affrontions  gaîment la grêle
Des fruits, pris aux pommiers voisins !
Ces jours où d’une antique échelle
Chargeant les appuis incertains,
Plus fiers que des soldats Romains,
Nous assiégions la citadelle
D’un ancien chenil à Lapins !
Et si quelque beauté naissante
Venait sourire à nos discords,
Il fallait nous voir corps à corps
Frémir d’une rage vaillante,
Lutter et redoubler d’efforts
Pour attirer sa vue errante.
 
Parfois d’un passe-temps plus doux
Étalant l’adresse savante,
Sur l’escarpolette mouvante,
Ployant, roidissant les genoux,
Nous volions, fiers de l’épouvante
De nos mères, presque en courroux,
Dont la tendresse vigilante
Souriait, en tremblant pour nous.
 
D’autres fois, d’un jardin champêtre
Cherchant les lieux les plus secrets,
Seuls, loin des regards indiscrets,
Nous y préparions le salpêtre.
Tantôt le bitume construit
En pyramide pétillante,
Lançait en aigrette brillante
Ses feux, brûlant à petit bruit ;
Tantôt la poudre resserrée
Dans un tube au col rétréci,
Du sein du cylindre noirci,
Jaillissait en gerbe azurée.
Heureux quand un fracas soudain,
Grâce à quelque main imprudente,
N’allait, jusqu’au fond du jardin,
Frappant mainte oreille tremblante,
Trahir notre jeu clandestin !
 
Ô Temps ! qu’as-tu fait de cet âge ?
Ou plutôt qu’as-tu fait de moi !
Je me cherche, hélas ! et ne voi
Qu’un fou, qui gémit d’être sage.
À seize ans, les ris, grâce à toi,
N’accourent plus sur mon passage.
Valez-vous ces plaisirs divins,
Si chers à mon âme enchantée,
Plaisirs amers et toujours vains,
Dont notre vie est tourmentée ?
Vaux-tu toi même de tels jeux,
Étude, que j’ai tant chantée,
Étude, que j’ai trop vantée ?
Quand je relis le chantre heureux
De Didon et de Galatée,
Je soupire et je dis toujours :
Le bonheur passe avec l’enfance ;
Tel le cherche dans les amours,
Qui le perd avec l’innocence.
 
Trop avide de l’avenir,
J’ai hâté le cours des années ;
Déjà je vois se rembrunir
L’horizon de mes destinées,
Oh ! que ne puis-je rajeunir,
Et de tant d’heures fortunées
Reprendre encor le souvenir !
À cet âge où l’heureux vulgaire
Sur les bancs traîne ses instants,
Dédaignant cette obscure sphère,
Séduit par les noms éclatants
Des Homères et des Virgiles,
J’ai pour quelques lauriers stériles
Jeté les fleurs de mon printemps.
Mais adieu, gloire, honneurs, fumée,
Adieu, mon peu de renommée,
Faible prix de tant de travaux !
Vous ne méritez pas mes peines ;
Quand j’ignorais vos faveurs vaines,
Je vivais gai, content, sans chaînes,
Et valais bien ce que je vaux.
Doux gazon qui, dès mon aurore,
Me vois rimer de faibles vers,
Que ne peux tu me voir encore
Me rouler sur tes tapis verts !
Arbres, qui sous vos frais ombrages,
Me voyez méditer les sages
Et les chantres de tous les temps ;
Que ne vais-je sur vos feuillages,
Au lieu d’écouter leurs ramages,
Poursuivre encor vos habitants !
 
Vœux perdus ! en vain en arrière,
En soupirant j’étends les bras,
Le Temps, qui s’avance à grands pas
M’entraîne à travers la carrière,
Et m’éloigne de la barrière
Pour me rapprocher du trépas.
Hélas ! dans le torrent du monde,
Bientôt ma barque vagabonde
Entrera pour n’en plus en sortir,
Jouet de maint écueil perfide,
Roulant jusqu’à ce gouffre avide,
Toujours comblé, mais toujours vide,
Qui pour jamais doit l’engloutir.
 
Toi qui de mon enfance heureuse
Soutenais les pas chancelants,
Viens de ma jeunesse fougueuse
Contenir les écarts brûlants ;
Jadis sans toi point d’alégresse,
Ma mère ! toute ma tristesse
Se dissipait sur tes genoux ;
Aujourd’hui, si l’orage gronde,
Près de toi, je veux dans ce monde
Rire encor des sots et des fous ;
De cet Océan en courroux
Bravons les vagues fugitives ;
Tu rendis mes plaisirs plus doux :
Tu rendras mes peines moins vives.
 

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