Hugo

Odes et Ballades


La Fiancée du timbalier


 

    Douce est la mort qui vient en bien aimant.
DESPORTES, Sonnet.


« Monseigneur le duc de Bretagne
A, pour les combats meurtriers,
Convoqué de Nante à Mortagne,
Dans la plaine et sur la montagne,
L’arrière-ban de ses guerriers.
 
« Ce sont des barons dont les armes
Ornent des forts ceints d’un fossé ;
Des preux vieillis dans les alarmes,
Des écuyers, des hommes d’armes ;
L’un d’entre eux est mon fiancé.
 
« Il est parti pour l’Aquitaine
Comme timbalier, et pourtant
On le prend pour un capitaine,
Rien qu’à voir sa mine hautaine,
Et son pourpoint, d’or éclatant !
 
« Depuis ce jour, l’effroi m’agite.
J’ai dit, joignant son sort au mien :
— Ma patronne, sainte Brigitte,
Pour que jamais il ne le quitte,
Surveillez son ange gardien ! —
 
« J’ai dit à notre abbé : — Messire,
Priez bien pour tous nos soldats ! —
Et, comme on sait qu’il le désire,
J’ai brûlé trois cierges de cire
Sur la châsse de saint Gildas.
 
« À Notre-Dame de Lorette
J’ai promis, dans mon noir chagrin,
D’attacher sur ma gorgerette,
Fermée à la vue indiscrète,
Les coquilles du pèlerin.
 
« Il n’a pu, par d’amoureux gages,
Absent, consoler mes foyers ;
Pour porter les tendres messages,
La vassale n’a point de pages,
Le vassal n’a point d’écuyers.
 
« Il doit aujourd’hui de la guerre
Revenir avec monseigneur ;
Ce n’est plus un amant vulgaire ;
Je lève un front baissé naguère,
Et mon orgueil est du bonheur !
 
« Le duc triomphant nous rapporte
Son drapeau dans les camps froissé,
Venez tous sous la vieille porte
Voir passer la brillante escorte,
Et le prince, et mon fiancé !
 
« Venez voir pour ce jour de fête
Son cheval caparaçonné,
Qui sous son poids hennit, s’arrête,
Et marche en secouant la tête
De plumes rouges couronné !
 
« Mes sœurs, à vous parer si lentes,
Venez voir près de mon vainqueur,
Ces timbales étincelantes
Qui, sous sa main toujours tremblantes,
Sonnent et font bondir le cœur !
 
« Venez surtout le voir lui-même
Sous le manteau que j’ai brodé.
Qu’il sera beau ! c’est lui que j’aime !
Il porte comme un diadème
Son casque de crins inondé !
 
« L’Égyptienne sacrilège,
M’attirant derrière un pilier,
M’a dit hier (Dieu nous protège !)
Qu’à la fanfare du cortège
Il manquerait un timbalier.
 
« Mais j’ai tant prié, que j’espère !
Quoique, me montrant de la main
Un sépulcre, son noir repaire,
La vieille aux regards de vipère
M’ait dit : — Je t’attends là demain !
 
« Volons ! plus de noires pensées !
Ce sont les tambours que j’entends.
Voici les dames entassées,
Les tentes de pourpre dressées,
Les fleurs et les drapeaux flottants.
 
« Sur deux rangs le cortège ondoie.
D’abord les piquiers aux pas lourds ;
Puis, sous l’étendard qu’on déploie,
Les barons, en robe de soie,
Avec leurs toques de velours.
 
« Voici les chasubles des prêtres ;
Les hérauts sur un blanc coursier.
Tous, en souvenir des ancêtres,
Portent l’écusson de leurs maîtres,
Peint sur leur corselet d’acier.
 
« Admirez l’armure persane
Des Templiers, craints de l’enfer ;
Et, sous la longue pertuisane,
Les archers venus de Lausanne,
Vêtus de buffle, armés de fer.
 
« Le duc n’est pas loin : ses bannières
Flottent parmi les chevaliers ;
Quelques enseignes prisonnières,
Honteuses, passent les dernières... —
Mes sueurs ! voici les timbaliers !... »
 
Elle dit, et sa vue errante
Plonge, hélas ! dans les rangs pressés ;
Puis dans la foule indifférente,
Elle tomba froide et mourante...
— Les timbaliers étaient passés.
 

Octobre 1825.

Commentaire (s)
Déposé par Jadis le 12 août 2019 à 17h34

Le Timbalier
-----------------

Dûment flanqué de ses timbales,
Je le croisai sur le palier ;
Il était grave et de teint pâle
Et me dit : Je suis timbalier.

Il en est qui battent les cartes,
Battent des pieds, battent des mains,
Battent les Mèdes et les Parthes,
Battent les bois ou les chemins ;

D’autres iront battre avec joie
Leur chien, leur femme, et les tapis,
Battront le fer quand il rougeoie
Ou la campagne, sans répit ;

On a battu monnaie à Bâle,
On bat sa coulpe, ou le pavé –
Quant à moi, je bats les timbales,
Et mieux vaut ne point me braver !

Craignant un peu qu’il ne s’emballe,
Je l’approuvais, bien qu’agacé,
Et j’allais lui filer cent balles :

       – Le timbalier était passé.

[Lien vers ce commentaire]

Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Τаvаn : Lа Rоndе dеs mоis

Ρеllеrin : L’Αutоbus ivrе

Ρrivаt d’Αnglеmоnt : À unе јеunе Sаltimbаnquе

Τоulеt : «Νаnе, аs-tu gаrdé sоuvеnir...»

Ρеllеrin : L’Αutоbus ivrе

Hаrаuсоurt : «Ιl plеut sur lа mеr, lеntеmеnt...»

Νuуsеmеnt : «Lа Νаturе а dоnné lеs соrnеs аuх Τаurеаuх...»

Du Βеllау : «Quiсоnquе, mоn Βаillеul, fаit lоnguеmеnt séјоur...»

Μussеt : Αu lесtеur dеs dеuх vоlumеs dе vеrs dе l’аutеur

Lе Vаvаssеur : Lеs Сhаts

Vеrlаinе : «Lеs pаssаgеs Сhоisеul аuх оdеurs dе јаdis...»

Αpоllinаirе : Ρауsаgе

☆ ☆ ☆ ☆

Jаmmеs : Lеs Dimаnсhеs

Jаmmеs : Αvес lеs pistоlеts

Dеsbоrdеs-Vаlmоrе : Lоin du mоndе

Rimbаud : Jеunе ménаgе

Jаmmеs : Lа fеrmе étаit luisаntе

Μаеtеrlinсk : Rоndе d’еnnui

Αllаis : Lе Jеunе Hоmmе sаns sоin еt, dе plus, irrеspесtuеuх

Βаudеlаirе : Lе Vin dеs Сhiffоnniеrs

Cоmmеntaires récеnts

De Сurаrе- sur «Сеpеndаnt qu’аu pаlаis dе prосès tu dеvisеs...» (Du Βеllау)

De Сосhоnfuсius sur Αllégоriе : «Un très viеuх tеmplе аntiquе s’éсrоulаnt...» (Vеrlаinе)

De Сосhоnfuсius sur «J’аimе lе vеrt lаuriеr, dоnt l’hivеr ni lа glасе...» (Jоdеllе)

De Jаdis sur «Jе nе suis pоint се Diеu qui plеin dе fоllе rаgе...» (Νuуsеmеnt)

De Сосhоnfuсius sur Lа Rimе riсhе (Αutrаn)

De Jаdis sur Lеs Сhаts (Lе Vаvаssеur)

De Сurаrе_ sur Sоnnеt : «Quаnd је rеpоsеrаi dаns lа fоssе, trаnquillе...» (Gоudеаu)

De Сurаrе_ sur Lе Τоmbеаu dе Сhаrlеs Βаudеlаirе (Μаllаrmé)

De Jаdis sur «Lеs pаssаgеs Сhоisеul аuх оdеurs dе јаdis...» (Vеrlаinе)

De Vinсеnt sur Τоmbеаu du Ρоètе (Dеubеl)

De Xi’аn sur «Μоn âmе pаisiblе étаit pаrеillе аutrеfоis...» (Τоulеt)

De Lа Μusеrаntе sur Соntrе Ligurinus : «Τоut lе mоndе tе fuit...» (Dubоs)

De Vinсеnt sur «Un sоir, lе lоng dе l’еаu, еllе mаrсhаit pеnsivе...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De Xi’аn sur Lе Суgnе (Rеnаrd)

De Сurаrе- sur «Sаintе Τhérèsе vеut quе lа Ρаuvrеté sоit...» (Vеrlаinе)

De Ρоéliсiеr sur «Αmоurs јumеаuх, d’unе flаmmе јumеllе...» (Ρаssеrаt)

De Βеn sur «Μаrgоt, еn vоus pеignаnt, је vоus pinсе sаns rirе...» (Sigоgnе)

De Lеbrun sur «Jе rêvе, tаnt Ρаris m’еst pаrfоis un еnfеr...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сinémа (Siсаud)

De GΟUUΑUX sur «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...» (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

De Rоzès sur Répétitiоn (Vаuсаirе)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе