Hugo


L’Idylle du vieillard


 

La voix d’un enfant d’un an


Que dit-il ? Croyez-vous qu’il parle ? J’en suis sûr.
Mais à qui parle-t-il ? À quelqu’un dans l’azur ;
À ce que nous nommons les esprits ; à l’espace,
Au doux battement d’aile invisible qui passe,
À l’ombre, au vent, peut-être au petit frère mort.
L’enfant apporte un peu de ce ciel dont il sort ;
Il ignore, il arrive ; homme, tu le recueilles.
Il a le tremblement des herbes et des feuilles.
La jaserie avant le langage est la fleur
Qui précède le fruit, moins beau qu’elle, et meilleur,
Si c’est être meilleur qu’être plus nécessaire.
L’enfant candide, au seuil de l’humaine misère,
Regarde cet étrange et redoutable lieu,
Ne comprend pas, s’étonne, et, n’y voyant pas Dieu,
Balbutie, humble voix confiante et touchante ;
Ce qui pleure finit par être ce qui chante ;
Ses premiers mots ont peur comme ses premiers pas.
Puis il espère.
 
                          Au ciel où notre œil n’atteint pas
Il est on ne sait quel nuage de figures
Que les enfants, jadis vénérés des augures,
Aperçoivent d’en bas et qui les fait parler.
Ce petit voit peut-être un œil étinceler ;
Il l’interroge ; il voit, dans de claires nuées,
Des faces resplendir, sans fin diminuées,
Et, fantômes réels qui pour nous seraient vains,
Le regarder, avec des sourires divins ;
L’obscurité sereine étend sur lui ses branches ;
Il rit, car de l’enfant les ténèbres sont blanches.
C’est là, dans l’ombre, au fond des éblouissements,
Qu’il dialogue avec des inconnus charmants ;
L’enfant fait la demande et l’ange la réponse ;
Le babil puéril dans le ciel bleu s’enfonce,
Puis s’en revient avec les hésitations
Du moineau qui verrait planer les alcyons.
Nous appelons cela bégaiement ; c’est l’abîme
Où, comme un être ailé qui va de cime en cime,
La parole, mêlée à l’éden, au matin,
Essayant de saisir là-haut un mot lointain,
Le prend, le lâche, cherche et trouve, et s’inquiète.
Dans ce que dit l’enfant le ciel profond s’émiette.
Quand l’enfant jase avec l’ombre qui le bénit,
La fauvette, attentive, au rebord de son nid
Se dresse, et ses petits passent, pensifs et frêles,
Leurs têtes à travers les plumes de ses ailes ;
La mère semble dire à sa couvée : Entends,
Et tâche de parler aussi bien. — Le printemps,
L’aurore, le jour bleu du paradis paisible,
Les rayons, flèches d’or dont la terre est la cible,
Se fondent, en un rythme obscur, dans l’humble chant
De l’âme chancelante et du cœur trébuchant.
Trébucher, chanceler, bégayer, c’est le charme
De cet âge où le rire éclôt dans une larme.
Ô divin clair-obscur du langage enfantin !
L’enfant semble pouvoir désarmer le destin ;
L’enfant sans le savoir enseigne la nature ;
Et cette bouche rose est l’auguste ouverture
D’où tombe, ô majesté de l’être faible et nu !
Sur le gouffre ignoré le logos inconnu.
L’innocence au milieu de nous, quelle largesse !
Quel don du ciel ! Qui sait les conseils de sagesse,
Les éclairs de bonté, qui sait la foi, l’amour,
Que versent, à travers leur tremblant demi-jour,
Dans la querelle amère et sinistre où nous sommes,
Les âmes des enfants sur les âmes des hommes ?
Le voit-on jusqu’au fond ce langage, où l’on sent
Passer tout ce qui fait tressaillir l’innocent ?
Non. Les hommes émus écoutent ces mêlées
De syllabes dans l’aube adorable envolées,
Idiome où le ciel laisse un reste d’accent,
Mais ne comprennent pas, et s’en vont en disant :
— Ce n’est rien ; c’est un souffle, une haleine, un murmure ;
Le mot n’est pas complet quand l’âme n’est pas mûre. —
Qu’en savez-vous ? Ce cri, ce chant qui sort d’un nid,
C’est l’homme qui commence et l’ange qui finit.
Vénérez-le. Le bruit mélodieux, la gamme
Dénouée et flottante où l’enfance amalgame
Le parfum de sa lèvre et l’azur de ses yeux,
Ressemble, ô vent du ciel, aux mots mystérieux
Que, pour exprimer l’ombre ou le jour, tu proposes
À la grande âme obscure éparse dans les choses.
L’être qui vient d’éclore en ce monde où tout ment,
Dit comme il peut son triste et doux étonnement.
Pour l’animal perdu dans l’énigme profonde,
Tout vient de l’homme. L’homme ébauche dans ce monde
Une explication du mystère, et par lui
Au fond du noir problème un peu de jour a lui.
Oui, le gazouillement, musique molle et vague,
Brouillard de mots divins confus comme la vague,
Chant dont les nouveau-nés ont le charmant secret,
Et qui de la maison passe dans la forêt,
Est tout un verbe, toute une langue, un échange
De l’aube avec l’étoile et de l’âme avec l’ange,
Idiome des nids, truchement des berceaux,
Pris aux petits enfants par les petits oiseaux.
 

La Légende des siècles, 1877

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