Hugo

Les Contemplations (II), 1856


             
XIII
Cadaver


 
Ô mort ! heure splendide ! ô rayons mortuaires !
Avez-vous quelquefois soulevé des suaires ?
Et, pendant qu’on pleurait, et qu’au chevet du lit,
Frères, amis, enfants, la mère qui pâlit,
Éperdus, sanglotaient dans le deuil qui les navre,
Avez-vous regardé sourire le cadavre ?
Tout à l’heure il râlait, se tordait, étouffait ;
Maintenant il rayonne. Abîme ! qui donc fait
Cette lueur qu’a l’homme en entrant dans les ombres ?
Qu’est-ce que le sépulcre ? et d’où vient, penseurs sombres,
Cette sérénité formidable des morts ?
C’est que le secret s’ouvre et que l’être est dehors ;
C’est que l’âme — qui voit, puis brille, puis flamboie, —
Rit, et que le corps même a sa terrible joie.
La chair se dit : — Je vais être terre, et germer,
Et fleurir comme sève, et, comme fleur, aimer !
Je vais me rajeunir dans la jeunesse énorme
Du buisson, de l’eau vive, et du chêne, et de l’orme,
Et me répandre aux lacs, aux flots, aux monts, aux prés,
Aux rochers, aux splendeurs des grands couchants pourprés,
Aux ravins, aux halliers, aux brises de la nue,
Aux murmures profonds de la vie inconnue !
Je vais être oiseau, vent, cri des eaux, bruit des cieux,
Et palpitation du tout prodigieux ! —
Tous ces atomes las, dont l’homme était le maître,
Sont joyeux d’être mis en liberté dans l’être,
De vivre, et de rentrer au gouffre qui leur plaît.
L’haleine, que la fièvre aigrissait et brûlait,
Va devenir parfum, et la voix harmonie ;
Le sang va retourner à la veine infinie,
Et couler, ruisseau clair, aux champs où le bœuf roux
Mugit le soir avec l’herbe jusqu’aux genoux ;
Les os ont déjà pris la majesté des marbres ;
La chevelure sent le grand frisson des arbres,
Et songe aux cerfs errants, au lierre, aux nids chantants
Qui vont l’emplir du souffle adoré du printemps.
Et voyez le regard, qu’une ombre étrange voile,
Et qui, mystérieux, semble un lever d’étoile !
 
Oui, Dieu le veut, la mort, c’est l’ineffable chant
De l’âme et de la bête à la fin se lâchant ;
C’est une double issue ouverte à l’être double.
Dieu disperse, à cette heure inexprimable et trouble,
Le corps dans l’univers et l’âme dans l’amour.
Une espèce d’azur que dore un vague jour,
L’air de l’éternité, puissant, calme, salubre,
Frémit et resplendit sous le linceul lugubre ;
Et des plis du drap noir tombent tous nos ennuis.
La mort est bleue. Ô mort ! ô paix ! l’ombre des nuits,
Le roseau des étangs, le roc du monticule,
L’épanouissement sombre du crépuscule,
Le vent, souffle farouche ou providentiel,
L’air, la terre, le feu, l’eau, tout, même le ciel,
Se mêle à cette chair qui devient solennelle.
Un commencement d’astre éclôt dans la prunelle.
 

Au cimetière, août 1855.

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Jасоb : Lе Dépаrt

Βеrtrаnd : Μоn Βisаïеul

Ρоnсhоn : Lе Gigоt

Lа Fоntаinе : Lе Сhаrtiеr еmbоurbé

Jасоb : Silеnсе dаns lа nаturе

Βоilеаu : Sаtirе VΙΙΙ : «Dе tоus lеs аnimаuх qui s’élèvеnt dаns l’аir...»

Sigоgnе : «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...»

Du Βеllау : «Соmtе, qui nе fis оnс соmptе dе lа grаndеur...»

Βаudеlаirе : Αu Lесtеur

Сhrеtiеn dе Τrоуеs : «Се fut аu tеmps qu’аrbrеs flеurissеnt...»

Τоulеt : «Dаns lе lit vаstе еt dévаsté...»

Riсtus : Jаsаntе dе lа Viеillе

☆ ☆ ☆ ☆

Lаfоrguе : Соmplаintе d’un аutrе dimаnсhе

Vеrlаinе : Lе Dеrniеr Dizаin

Νоël : Visiоn

Siеfеrt : Vivеrе mеmеntо

Dеshоulièrеs : Sоnnеt burlеsquе sur lа Ρhèdrе dе Rасinе

Τоulеt : «Τоi qui lаissеs pеndrе, rеptilе supеrbе...»

Siсаud : Lа Grоttе dеs Léprеuх

Соppéе : «Сhаmpêtrеs еt lоintаins quаrtiеrs, је vоus préfèrе...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сurаrе- sur «Ιl n’еst riеn dе si bеаu соmmе Саlistе еst bеllе...» (Μаlhеrbе)

De Сосhоnfuсius sur Lа Соlоmbе pоignаrdéе (Lеfèvrе-Dеumiеr)

De Ε. sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

De Сосhоnfuсius sur Lе Саuсhеmаr d’un аsсètе (Rоllinаt)

De Сосhоnfuсius sur «Μаrs, vеrgоgnеuх d’аvоir dоnné tаnt d’hеur...» (Du Βеllау)

De Xi’аn sur Lе Gigоt (Ρоnсhоn)

De Jаdis sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Dаmе dе flаmmе sur À sоn lесtеur : «Lе vоilà сеt аutеur qui sаit pinсеr еt rirе...» (Dubоs)

De Yеаts sur Ρаul-Jеаn Τоulеt

De Ιо Kаnааn sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Сurаrе- sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Villеrеу јеаn -pаul sur Détrеssе (Dеubеl)

De ΒооmеrаngΒS sur «Βiеnhеurеuх sоit lе јоur, еt lе mоis, еt l’аnnéе...» (Μаgnу)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе