Hugo


À mon père


 
 

I


 
Quoi ! toujours une lyre et jamais une épée !
Toujours d’un voile obscur ma vie enveloppée !
Point d’arène guerrière à mes pas éperdus ! –
Mais jeter ma colère en strophes cadencées !
Consumer tous mes jours en stériles pensées,
            Toute mon âme en chants perdus !
 
Et cependant, livrée aux tyrans qu’elle brave,
La Grèce aux rois chrétiens montre sa croix esclave !
Et l’Espagne à grands cris appelle nos exploits !
Car elle a de l’erreur connu l’ivresse amère ;
Et, comme un orphelin qu’on arrache à sa mère,
Son vieux trône a perdu l’appui des vieilles lois.
 
Je rêve quelquefois que je saisis ton glaive,
Ô mon père ! et je vais, dans l’ardeur qui m’enlève,
Suivre au pays du Cid nos glorieux soldats,
Ou faire dire aux fils de Sparte révoltée
Qu’un français, s’il ne put rendre aux grecs un Tyrtée,
            Leur sut rendre un Léonidas.
 
Songes vains ! Mais du moins ne crois pas que ma muse
Ait pour tes compagnons des chants qu’elle refuse,
Mon père : le poète est fidèle aux guerriers.
Des honneurs immortels il revêt la victoire ;
Il chante sur leur vie ; et l’amant de la gloire
Comme toutes les fleurs aime tous les lauriers.
 
 
 

II


 
Ô français ! des combats la palme vous décore ;
Courbés sous un tyran, vous étiez grands encore.
Ce chef prodigieux par vous s’est élevé ;
Son immortalité sur vos gloires se fonde,
Et rien n’effacera des annales du monde
            Son nom, par vos glaives gravé.
 
Ajoutant une page à toutes les histoires,
Il attelait des rois au char de ses victoires ;
Dieu dans sa droite aveugle avait mis le trépas ;
L’univers haletait sous son poids formidable ;
Comme ce qu’un enfant a tracé sur le sable,
Les empires confus s’effaçaient sous ses pas.
 
Flatté par la fortune, il fut puni par elle.
L’imprudent confiait son destin vaste et frêle
À cet orgueil, toujours sur la terre expié.
Où donc, en sa folie, aspirait ta pensée,
Malheureux ! qui voulais, dans ta route insensée,
            Tous les trônes pour marchepied ?
 
Son jour vint : on le vit, vers la France alarmée,
Fuir, traînant après lui comme un lambeau d’armée,
Chars, coursiers et soldats, pressés de toutes parts.
Tel, en son vol immense atteint du plomb funeste,
Le grand aigle, tombant de l’empire céleste,
Sème sa trace au loin de son plumage épars.
 
Qu’il dorme maintenant dans son lit de poussière !
On ne voit plus, autour de sa couche guerrière,
Vingt courtisans royaux épier son réveil ;
L’Europe, si longtemps sous son bras palpitante,
Ne compte plus, assise aux portes de sa tente,
            Les heures de son noir sommeil.
 
Reprenez, ô français ! votre gloire usurpée.
Assez dans tant d’exploits on n’a vu qu’une épée !
Assez de la louange il fatigua la voix !
Mesurez la hauteur du géant sur la poudre.
Quel aigle ne vaincrait, armé de votre foudre ?
Et qui ne serait grand, du haut de vos pavois ?
 
L’étoile de Brennus luit encor sur vos têtes.
La Victoire eut toujours des français à ses fêtes.
La paix du monde entier dépend de leur repos.
Sur les pas des Moreau, des Condé, des Xaintrailles,
Ce peuple glorieux dans les champs de batailles
            A toujours usé ses drapeaux.
 
 
 

III


 
Toi, mon père, ployant ta tente voyageuse,
Conte-nous les écueils de ta route orageuse,
Le soir, d’un cercle étroit en silence entouré.
Si d’opulents trésors ne sont plus ton partage,
Va, tes fils sont contents de ton noble héritage :
Le plus beau patrimoine est un nom révéré.
 
Pour moi, puisqu’il faut voir, et mon cœur en murmure,
Pendre aux lambris poudreux ta vénérable armure ;
Puisque ton étendard dort près de ton foyer,
Et que, sous l’humble abri de quelques vieux portiques,
Le coursier, qui m’emporte aux luttes poétiques,
            Laisse rouiller ton char guerrier ;
 
Lègue à mon luth obscur l’éclat de ton épée ;
Et du moins qu’à ma voix, de ta vie occupée,
Ce beau souvenir prête un charme solennel.
Je dirai tes combats aux muses attentives,
Comme un enfant joyeux, parmi ses sœurs craintives,
Traîne, débile et fier, le glaive paternel.
 
 

Août 1823

Odes et Ballades

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