Théophile Gautier

España, 1845


À Zurbaran


 
Moines de Zurbaran, blancs chartreux qui, dans l’ombre,
Glissez silencieux sur les dalles des morts,
Murmurant des Pater et des Ave sans nombre,
 
Quel crime expiez-vous par de si grands remords ?
Fantômes tonsurés, bourreaux à face blême,
Pour le traiter ainsi, qu’a donc fait votre corps ?
 
Votre corps modelé par le doigt de Dieu même,
Que Jésus-Christ, son fils, a daigné revêtir,
Vous n’avez pas le droit de lui dire : « Anathème ! »
 
Je conçois les tourments et la foi du martyre,
Les jets de plomb fondu, les bains de poix liquide,
La gueule des lions prête à vous engloutir,
 
Sur un rouet de fer les boyaux qu’on dévide,
Toutes les cruautés des empereurs romains ;
Mais je ne comprends pas ce morne suicide !
 
Pourquoi donc, chaque nuit, pour vous seuls inhumains,
Déchirer votre épaule à coups de discipline,
Jusqu’à ce que le sang ruisselle sur vos reins ?
 
Pourquoi ceindre toujours la couronne d’épine,
Que Jésus sur son front ne mit que pour mourir,
Et frapper à plein poing votre maigre poitrine ?
 
Croyez-vous donc que Dieu s’amuse à voir souffrir,
Et que ce meurtre lent, cette froide agonie,
Fasse pour vous le ciel plus facile à s’ouvrir ?
 
Cette tête de mort entre vos doigts jaunie,
Pour ne plus en sortir, qu’elle rentre au charnier !
Que votre fosse soit par un autre finie !
 
L’esprit est immortel, on ne peut le nier ;
Mais dire, comme vous, que la chair est infâme,
Statuaire divin, c’est te calomnier !
 
Pourtant quelle énergie et quelle force d’âme
Ils avaient, ces chartreux, sous leur pâle linceul,
Pour vivre, sans amis, sans famille et sans femme,
 
Tout jeunes, et déjà plus glacés qu’un aïeul,
N’ayant pour horizon qu’un long cloître en arcades,
Avec une pensée, en face de Dieu seul !
 
Tes moines, Lesueur, près de ceux-là sont fades :
Zurbaran de Séville a mieux rendu que toi
Leurs yeux plombés d’extase et leurs têtes malades,
 
Le vertige divin, l’enivrement de foi
Qui les fait rayonner d’une clarté fiévreuse,
Et leur aspect étrange, à vous donner l’effroi.
 
Comme son dur pinceau les laboure et les creuse !
Aux pleurs du repentir comme il ouvre des lits
Dans les rides sans fond de leur face terreuse !
 
Comme du froc sinistre il allonge les plis ;
Comme il sait lui donner les pâleurs du suaire,
Si bien que l’on dirait des morts ensevelis !
 
Qu’il vous peigne en extase au fond du sanctuaire,
Du cadavre divin baisant les pieds sanglants,
Fouettant votre dos bleu comme un fléau bat l’aire,
 
Vous promenant rêveurs le long des cloîtres blancs,
Par file assis à table au frugal réfectoire,
Toujours il fait de vous des portraits ressemblants.
 
Deux teintes seulement, clair livide, ombre noire ;
Deux poses, l’une droite et l’autre à deux genoux,
À l’artiste ont suffi pour peindre votre histoire.
 
Forme, rayon, couleur, rien n’existe pour vous ;
À tout objet réel vous êtes insensibles,
Car le ciel vous enivre et la croix vous rend fous ;
 
Et vous vivez muets, inclinés sur vos bibles,
Croyant toujours entendre aux plafonds entr’ouverts
Éclater brusquement les trompettes terribles !
 
Ô moines ! maintenant, en tapis frais et verts,
Sur les fosses par vous à vous-mêmes creusées,
L’herbe s’étend. — Eh bien ! que dites-vous aux vers ?
 
Quels rêves faites-vous ? quelles sont vos pensées ?
Ne regrettez-vous pas d’avoir usé vos jours
Entre ces murs étroits, sous ces voûtes glacées ?
 
Ce que vous avez fait, le feriez-vous toujours ?
 

Séville, 1844.

Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 5 juin 2016 à 19h18

Le serpent du cloître
------------------------

Les chartreux ont nourri un grand serpent dans l’ombre ;
En ce cloître, il régit les vivants et les morts,
Mangeant des campagnols et des lérots sans nombre.

D’avoir choisi ce maître, ils n’ont aucun remords,
Car il sait veiller sur le monastère blême,
Dans le mitan duquel se vautre son vieux corps.

En cellule, au jardin, au confessionnal, même,
Ils disent, devant lui, leurs joies et leurs chagrins
Et je ne jetterai sur eux nul anathème,

Car c’est un héritier du fier serpent d’airain,
L’habitant du jardin, dont parlent les poèmes,
Lucifer, qui d’Adam fut l’oncle et le parrain.

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Déposé par Cochonfucius le 25 novembre 2019 à 11h02

Serpent fort en thème ;;;;;;; (retouche sur l’identifiant)
------------

Le serpent fut expert en citations latines,
C’est un noble chercheur, un intellectuel ;
Il promet aux humains le pain spirituel,
C’est le fruit du pommier, plus doux que l’églantine.

C’est l’aliment divin, la rose sans épines,
La lumière qui donne (et c’est contractuel)
À l’homme dans ce monde un corps perpétuel
Et la femme aussi, son aimable copine.

L’homme sans la lumière est un frêle roseau
Perdu dans l’univers, ce foisonnant réseau ;
Il ne sait en capter les effets ni les causes.

L’homme avec la lumière est gai comme l’oiseau
Qui jadis consola le duc de Palaiseau,
Lequel fut attristé par les mots d’une rose.

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Déposé par Snowman le 25 novembre 2019 à 11h09

Antiserpent de Caudéran
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— Antiserpent de Caudéran,
Serais-tu un reptile errant ?
— Je suis un rampant gyrovague,
Le comprends-tu, c’est différent.

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Déposé par Cochonfucius le 25 novembre 2019 à 11h11


Rêve de serpent
----------

Ton ombre, elle dévore en rêve
L’ombre du globe où vécut Ève,
Serpent ! Si c’était véritable,
Tu n’aurais qu’une gloire brève.

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Déposé par Cochonfucius le 12 mars 2020 à 12h47

Serpent dans une tour
----------

Dans la tour est blottie la bête serpentine,
Célébrant, nous dit-on,  d’étranges rituels ;
Car c’est un noble prêtre, un chef spirituel,
La lumière envahit son âme adamantine.

Il a vécu jadis en un buisson d’épines,
Il préfère de loin son domaine actuel,
Des flamboyants vitraux l’éclat perpétuel
Lui faisant oublier son passé de rapines.

C’est un vaillant serpent, souple comme un roseau,
Dont les vieux compagnons forment un grand réseau,
Souvent mobilisés pour une même cause.

Cessant dorénavant de manger des oiseaux,
Il entend s’aiguiser des Parques les ciseaux
En se remémorant le parfum d’une rose.

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Déposé par Cochonfucius le 5 avril 2020 à 12h18

Houx du premier jardin
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Les humains l’aiment bien, qu’importent les épines,
L’admirant au solstice, hivernal rituel ;
L’arbuste semble avoir des dons spirituels,
Ainsi pensent la Dame et Lilith, sa copine.

Le houx se trouve aussi dans les forêts alpines,
Il ornera plus tard les clos conventuels ;
Lui qui est habillé d’un vert perpétuel
Ne craint point de Chronos les cruelles rapines.

C’est le buisson de houx, ce n’est pas un roseau,
Ses pareils dans les bois forment un grand réseau,
Leur esprit le permet, leur âme en est la cause.

Il ne dédaigne pas de nourrir les oiseaux,
Il laisse un jardinier le tailler aux ciseaux ;
Il  ne jalouse point la douceur de la rose.

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Déposé par Cochonfucius le 15 juillet 2020 à 13h11

Chien du premier jardin
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Ce fut un parangon de sagesse canine,
Spectateur assidu de tous les rituels ;
Obéir en tous points lui fut habituel,
Jamais il ne tomba dans l’ire léonine.

Adam sur une feuille un beau jour le dessine,
Appelant ce portrait «compagnon virtuel» ;
Mais un tel document n’est pas perpétuel,
Il redoute le Temps et sa griffe assassine.

On lui fit pour le soir un panier de roseaux
Qu’il découvrit un jour en fronçant les naseaux;
«Pourquoi pas, se dit-il, c’est une douce chose».

Pas de cage pour lui, ce n’est pas un oiseau,
Mais cent mille chemins qui forment un réseau
Dont il lit le marquage avec sa truffe rose.

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