François Fabié

La Poésie des bêtes, 1879


La Chatte noire


 
Dans le moulin de Roupeyrac,
Se tient assise sur son sac
Une chatte couleur d’ébène ;
Il est bien certain qu’elle dort :
Ses yeux ne sont que deux fils d’or,
Et ses griffes sont dans leur gaine.
 
Pourtant, ne vous y fiez pas,
Et trottinez un peu plus bas,
Rats qui courent par les trémies,
Si vous ne voulez tout à coup
Sentir entrer dans votre cou
Toutes ces griffes endormies.
 
Gardez-vous de donner l’assaut
Au grain qui dort dans le boisseau !
Car, si la Noire se réveille,
Demain, en sacrant, le meunier
Trouvera rouge, au farinier,
Sa farine blanche la veille.
 
Soyez discrets, soyez prudents !
N’allez pas aiguiser vos dents
Sur le sac où dort l’assassine :
Car elle bondirait soudain,
Et vous lui crierez bien en vain :
« Cousine ! cousine ! oh ! cousine !... »
 
 


 
Près du moulin, dans le verger,
Au soleil on voit s’allonger
Une chatte couleur d’ébène ;
Il est bien certain qu’elle dort :
Ses yeux ne sont que deux fils d’or,
Et ses griffes sont dans leur gaine.
 
Pourtant, ne vous y fiez pas,
Et voletez un peu moins bas,
Moineaux, pillards de chènevière !
En s’éveillant, elle pourrait,
Pour se dégourdir le jarret,
Vous faire mordre la poussière.
 
Chardonnerets au beau pourpoint,
Dans ce verger ne nichez point ;
Ô roitelets, ô rouges-gorges,
Pinsons, hôtes du vieux poirier,
Écoutez donc !... j’entends crier
Des oisillons que l’on égorge...
 
Oh ! c’est la chatte noire, hélas !
Elle rôdait par les lilas,
Ainsi qu’un tigre dans les jungles ;
Et, flairant quelque fin souper,
Jusqu’au nid elle a dû grimper,
Gare à ses dents ! gare à ses ongles !
 
 


 
Sous le moulin, près du ruisseau,
Se teint assise au bord de l’eau
Une chatte couleur d’ébène ;
Il est bien certain qu’elle dort :
Ses yeux ne sont que deux fils d’or,
Et ses griffes sont dans leur gaine.
 
Pourtant, ne vous y fiez pas,
Et gardez-vous, dans vos ébats,
De trop approcher de la rive,
Goujons dorés et bleus barbeaux,
Si vous ne voulez dans le dos
Sentir une griffe furtive !
 
Certes, elle n’aime pas le bain,
La chatte noire, mais enfin !
Pour y harponner une truite,
Elle se risque quelquefois
À se mouiller un peu les doigts,
Comme le diable en l’eau bénite.
 
Et sa langue rose paraît
Plus rose encore, et l’on dirait
Une bouche de jeune fille,
Lorsque d’un beau poisson tremblant
Qu’elle dévore en grommelant,
La queue à sa lèvre frétille.
 
 


 
À Roupeyrac, dans le bois noir,
On voit souvent quand vient le soir
Une chatte couleur d’ébène ;
Elle passe, ouvrant ses yeux d’or,
Aussi discrète que la mort,
Aussi farouche, aussi soudaine.
 
En face du chasseur transi,
Elle vient à l’affût aussi.
Dans l’herbe où sa robe se mouille,
Elle fait face au braconnier,
Et bien souvent c’est ce dernier
Qui de la forêt sort bredouille.
 
Aussi, garde à vous lapereaux,
À peine aussi rusés que gros !
La chatte noire a sur la paille
Des nourrissons, vrais chenapans,
Qui pourraient bien à vos dépens
Demain matin faire ripaille ;
 
Puis, pour leurs jeux extravagants,
Dans votre peau tailler des gants,
Ou traîner leur immense proie
Tout un jour par le corridor ;
Tel Achille traînant Hector
Autour des murailles de Troie !
 
 


 
Il est minuit, la ferme dort.
Seule, ouvrant ses deux grands yeux d’or,
Près du foyer la chatte veille,
Et songe, en passant proprement
Sa patte alternativement
Derrière l’une et l’autre oreille.
 
Parfois elle s’arrête un peu
Pour regarder du chêne en feu
Jaillir des groupes d’étincelles,
Ou pour écouter la chanson
Du gaz qui filtre du tison,
Et qu’elle prend pour un bruit d’ailes.
 
D’ailleurs, Milord, le chien d’arrêt,
Qui rêve aussi de la forêt,
Glapit à l’autre coin de l’âtre ;
Et la chatte, l’air anxieux,
Ne ferme qu’à moitié les yeux,
Et se tient prête à le combattre.
 
Mais voilà que ses nourrissons
Accourent... Des doigts polissons
Peignent sa queue électrisée.
Elle avertit les imprudents,
Puis gronde, puis montre les dents,
Puis rugit, en mère offensée ;
 
Enfin, après un vif juron,
Elle leur distribue en rond
Quatre ou cinq gifles maternelles,
Et, le silence étant complet,
Leur tend ses flancs chargés de lait
En refermant ses deux prunelles.
 

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