Franc-Nohain


Le Déjeuner interrompu


 
Je ne suis rentré qu’à une heure et demie ;
Depuis
Midi,
Le déjeuner était servi :
— Ma bonne, et douce, et chère amie,
Crois qu’il n’y a pas de ma faute !... — 
Ma douce et chère amie riposte :
— Dis-je que ce fût votre faute,
L’ai-je dit ?... — 
 
La servante sournoise et lente, à pas de loup,
Louche, et tourne autour des époux.
 
(Mais en quel état l’entrecôte,
En quel état les œufs cocottes !...) £
 
Pour dérider son front d’âpre froideur empreint,
Je m’efforce à quelques plaisantes anecdotes ;
Mais en vain :
Silencieuse, elle émiette son pain,
Ou, de ses doigts industrieux, parvient
À figurer avec la mie, — elle n’a plus faim, — 
De minuscules objets usuels, ou des cocottes :
 
Mes plus plaisantes anecdotes
Ne récoltent
Que le silence et le dédain.
 
(La servante sournoise et lente, à pas de loup,
Louche, et tourne autour des époux.)
 
— Ça t’amuse donc bien de rouler ces boulettes ? — 
Mais ses doigts aussitôt dans leur labeur s’arrêtent.
— Bien ! à ton aise ! fais la tête ! — 
Et, de ma poche, alors extraites
Avec fracas,
Je me mets, entre chaque plat,
À lire et froisser les gazettes : £
 
L’épouse ne sourcille pas.
 
— Tu es muette !
Te voilà muette, à présent ?
Charmant !
Autant de conversation
Qu’au restaurant, lorsque j’étais seul et garçon
Voilà un déjeuner dont je me souviendrai :
Mariez-vous donc, mariez-vous donc ! —
Et, pour accompagner ce refrain guilleret,
Je flanque mon assiette à terre,
Et ma serviette, et mon verre,
Et, blasphémant d’une voix forte,
Sors en faisant claquer la porte ;
 
La servante sournoise et lente, à pas de loup,
Louche, et tourne, et ramasse tout ;
L’épouse a repris ses cocottes.
 
Dans le café où je suis entré,
Affalé sur une banquette, £
Je me jette
Sur les journaux illustrés ;
À mon esprit qui veut être distrait,
Rien ne reste étranger de nos grands quotidiens,
Annonces, cotes de la Bourse,
Et les pronostics pour les courses, — 
Rien :
Mais malgré toutes ces ressources,
 
Le chagrin domestique entre les lignes rôde,
Qui mettra mon cœur en désordre,
 
Et puis ce mazagran est de tout dernier ordre.
 
Ah ! si je m’écoutais, à ce gérant, à la caissière,
Je viendrais raconter mes peines singulières,
Toute ma misère conjugale,
Et (bien que ça leur fût, probablement, égal,)
À ces gens je voudrais crier
Ma vie brisée, la débâcle de mon foyer,
Et cette épouse sans pitié
À qui, pourtant, je n’ai fait aucun mal... £
 
— Je ne suis pas un homme de désordre,
J’étais un homme de foyer,
Voyez !... — 
 
(Et puis ce mazagran est de tout dernier ordre.)
 
Mais le garçon est là, qui a,
(— Et un cigare, qui fait quatorze... —)
Qui a
Une tête de magistrat !...
Et c’est la vision atroce
De l’audience en référé, pour le divorce...
 
Pâle, et tremblant de tous mes membres,
(Le divorce ? qui sait ? le suicide !)
Je rentre,
La bouche sèche, les yeux vides,
J’ai interrogé la servante :
— Vite,
Madame ? où est Madame ?...
 
                — Madame est dans sa chambre,
 
Qui s’arrange
Son chapeau bleu, avec des brides... — 
 

La Nouvelle Cuisinière bourgeoise

Commentaire (s)

Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Jасоb : Lе Dépаrt

Βеrtrаnd : Μоn Βisаïеul

Ρоnсhоn : Lе Gigоt

Lа Fоntаinе : Lе Сhаrtiеr еmbоurbé

Jасоb : Silеnсе dаns lа nаturе

Βоilеаu : Sаtirе VΙΙΙ : «Dе tоus lеs аnimаuх qui s’élèvеnt dаns l’аir...»

Sigоgnе : «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...»

Du Βеllау : «Соmtе, qui nе fis оnс соmptе dе lа grаndеur...»

Βаudеlаirе : Αu Lесtеur

Сhrеtiеn dе Τrоуеs : «Се fut аu tеmps qu’аrbrеs flеurissеnt...»

Τоulеt : «Dаns lе lit vаstе еt dévаsté...»

Riсtus : Jаsаntе dе lа Viеillе

☆ ☆ ☆ ☆

Lаfоrguе : Соmplаintе d’un аutrе dimаnсhе

Vеrlаinе : Lе Dеrniеr Dizаin

Νоël : Visiоn

Siеfеrt : Vivеrе mеmеntо

Dеshоulièrеs : Sоnnеt burlеsquе sur lа Ρhèdrе dе Rасinе

Τоulеt : «Τоi qui lаissеs pеndrе, rеptilе supеrbе...»

Siсаud : Lа Grоttе dеs Léprеuх

Соppéе : «Сhаmpêtrеs еt lоintаins quаrtiеrs, је vоus préfèrе...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сurаrе- sur «Ιl n’еst riеn dе si bеаu соmmе Саlistе еst bеllе...» (Μаlhеrbе)

De Сосhоnfuсius sur Lа Соlоmbе pоignаrdéе (Lеfèvrе-Dеumiеr)

De Ε. sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

De Сосhоnfuсius sur Lе Саuсhеmаr d’un аsсètе (Rоllinаt)

De Сосhоnfuсius sur «Μаrs, vеrgоgnеuх d’аvоir dоnné tаnt d’hеur...» (Du Βеllау)

De Xi’аn sur Lе Gigоt (Ρоnсhоn)

De Jаdis sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Dаmе dе flаmmе sur À sоn lесtеur : «Lе vоilà сеt аutеur qui sаit pinсеr еt rirе...» (Dubоs)

De Yеаts sur Ρаul-Jеаn Τоulеt

De Ιо Kаnааn sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Сurаrе- sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Villеrеу јеаn -pаul sur Détrеssе (Dеubеl)

De ΒооmеrаngΒS sur «Βiеnhеurеuх sоit lе јоur, еt lе mоis, еt l’аnnéе...» (Μаgnу)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе