Léon Dierx

 ?


Les Paroles du vaincu


 
 

I


 
Tu rêvais paix universelle !
Tu disais : « Qu’importe un ruisseau ?
Pourquoi le globe qu’on morcelle ?
La terre immense est mon berceau ! »
À présent, tu dis : « Hors la gaîne,
Le glaive à deux mains des aïeux !
Hors des cœurs le sang furieux !
Et vous, autour de notre haine,
Rangez-vous, impassibles Dieux ! »
 
 

II


 
Ils tombèrent, enfin, ces braves !
Par blocs massifs, aux trous béants.
Le soir vint grandir ces géants,
Ces vaincus effrayants et graves !
L’un surtout, son buste d’acier
Droit sur l’arçon, semblait attendre !
La nuit, on peut croire, à l’entendre,
Que la mort n’a point osé prendre
Son âme, à ce grand cuirassier !
 
 

III


 
Ceux de l’Argonne et de Valmy
Sont vêtus de pourpre éclatante.
Ils souriaient fiers, dans l’attente,
Nous criant : « Sus à l’ennemi ! »
Mais toujours passaient les Barbares !
Et les vieux sonneurs de fanfares
Criaient en vain : « Debout, les Morts !
Redonnez-nous, ô dieux avares !
Du sang qui coule dans des corps ! »
 
 

IV


 
Dans les soleils couchants je vois
Des ruines au nom sonore,
Dont la gloire sur nous encore
Flambe et croule, comme autrefois !
Dans les soleils fondants j’admire,
O Paris ! les reines d’orgueil.
J’ouvre, éperdu, longtemps, mon œil.
Et je vais, criant, l’âme en deuil :
Ninive ! Ecbatane ! Palmyre !
 
 

V


 
Plus d’une fois ta noble épée,
Ô Patrie ! a, de son revers,
Quelque part fait tomber leurs fers !
Par ton sang fraternel trempée,
Plus d’une plaine était en fleur,
Où l’on riait de ton malheur !
Ah ! pour que rien ne te flétrisse,
Toi, l’unique Libératrice,
Oublie aussi ; pardonnons-leur !
 
 

VI


 
Vous, enfants, conçus dans l’année
Aux ciels éclaboussés de sang !
Fils des veuves au lait puissant !
Ô vous, dont l’âme est condamnée
À rêver de meurtre en naissant !
Irritez nos soifs éphémères !
Répétez-nous les cris perdus
Que dans le ventre de vos mères
Vous jetaient les mourants vaincus !
 
 

VII


 
Un long fantôme avec la nuit
Revient, angoisse inévitable !
Un spectre illustre, à chaque table,
S’assied muet, son sang reluit !
Un grand linceul, au coin des bornes,
Barre la route au citoyen !
Dans chaque rue un être ancien,
L’aïeule auguste aux grands yeux mornes,
Nous suit dans l’ombre et ne dit rien !
 
 

VIII


 
Qu’ils sont gras, les corbeaux, mon frère !
Les corbeaux de notre pays !
Ah ! la chair des héros trahis
Alourdit leur vol funéraire !
Quand ils regagnent, vers le soir,
Leurs bois déserts, hantés dès goules,
Frère, aux clochers on peut les voir,
Claquant du bec, par bandes soûles,
Flotter comme un lourd drapeau noir.
 
 

IX


 
Dévore la honte et l’outrage !
Ne dis plus, toi, le fils des preux :
« Ces renards étaient trop nombreux. »
Tais-toi ! Couve en ton cœur ta rage !
Attends ! prépare un jour, pour eux,
Sans répit, l’heure expiatoire.
Laisse-les nous voler l’histoire,
Ces porteurs d’étendards affreux
Déshonorés par la victoire !
 
 

X


 
Sous la lune au sanglant brouillard
Court la nature ensorcelée.
— Tu regardes dans la vallée ;
Que vois-tu, dis-le-nous, vieillard !
Le vétéran dit : « Je regarde
Ces peupliers rangés là-bas !
Je crois revoir la vieille garde,
Haute et droite, avec la cocarde,
Courant au nord, pour les combats ! »
 
 

XI


 
Battez le fer, ô forgerons !
Pour percer un jour leurs entrailles !
Fondez le plomb pour les mitrailles,
Quand, un jour, nous les chasserons !
L’odeur des morts emplit la brume.
Dans la plaine et sur le coteau
Que l’espoir, feu sacré, s’allume,
Que la vengeance soit l’enclume,
Et la haine, le dur marteau !
 
 

XII


 
Le vent qui passe nous apporte
Un bruit de fifre et de tambour.
Il ne nous parle plus d’amour,
Le vent qui souffle à notre porte !
Le vent qui chante vient du Rhin
Où mange et boit l’aigle rapace !
Il poursuit en mer le marin,
Sous le ciel clair ou sous le grain,
Le rire affreux du vent qui passe !
 
 

XIII


 
Car là-bas, en riant de nous,
Ils font sonner leurs lourdes crosses ;
Car là-bas, sous leurs mains atroces,
Ils ont mis nos sœurs à genoux !
Ah ! l’honneur est un mort rebelle
Qui dort trop mal pour rester coi !
Il n’attend pas qu’un Dieu l’appelle.
N’entends-tu rien, mon frère, en toi,
Qui hurle : « Allons, réveille-moi ! »
 
 

XIV


 
Dans les aurores, les vois-tu,
Montrant, l’une sa noire flèche,
L’autre ses murs toujours sans brèche,
Nos deux sœurs, ivres de vertu ?
Les vois-tu sortir dans l’aurore
Des bras dénoués du Germain,
L’une, allongeant sa maigre main,
L’autre, vierge farouche encore,
Nos sœurs, après l’horrible hymen ?
 
 

*


 

*  *


 
Hélas ! Dis-nous, chanteur cruel,
Quand finiront les cris de haine,
Quand cessera la gloire humaine
D’être un vain meurtre mutuel ?
Vainqueurs, vaincus, à tour de rôle,
Tous ont dressé, courbé l’épaule.
Quel jour enfin, par tous fêté.
Fera, d’un pôle à l’autre pôle,
S’unir en paix l’humanité ?
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Jасоb : Lе Dépаrt

Βеrtrаnd : Μоn Βisаïеul

Ρоnсhоn : Lе Gigоt

Lа Fоntаinе : Lе Сhаrtiеr еmbоurbé

Jасоb : Silеnсе dаns lа nаturе

Βоilеаu : Sаtirе VΙΙΙ : «Dе tоus lеs аnimаuх qui s’élèvеnt dаns l’аir...»

Sigоgnе : «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...»

Du Βеllау : «Соmtе, qui nе fis оnс соmptе dе lа grаndеur...»

Βаudеlаirе : Αu Lесtеur

Сhrеtiеn dе Τrоуеs : «Се fut аu tеmps qu’аrbrеs flеurissеnt...»

Τоulеt : «Dаns lе lit vаstе еt dévаsté...»

Riсtus : Jаsаntе dе lа Viеillе

☆ ☆ ☆ ☆

Lаfоrguе : Соmplаintе d’un аutrе dimаnсhе

Vеrlаinе : Lе Dеrniеr Dizаin

Νоël : Visiоn

Siеfеrt : Vivеrе mеmеntо

Dеshоulièrеs : Sоnnеt burlеsquе sur lа Ρhèdrе dе Rасinе

Τоulеt : «Τоi qui lаissеs pеndrе, rеptilе supеrbе...»

Siсаud : Lа Grоttе dеs Léprеuх

Соppéе : «Сhаmpêtrеs еt lоintаins quаrtiеrs, је vоus préfèrе...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сurаrе= sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

De Сurаrе- sur «Ιl n’еst riеn dе si bеаu соmmе Саlistе еst bеllе...» (Μаlhеrbе)

De Сосhоnfuсius sur Lа Соlоmbе pоignаrdéе (Lеfèvrе-Dеumiеr)

De Сосhоnfuсius sur Lе Саuсhеmаr d’un аsсètе (Rоllinаt)

De Сосhоnfuсius sur «Μаrs, vеrgоgnеuх d’аvоir dоnné tаnt d’hеur...» (Du Βеllау)

De Xi’аn sur Lе Gigоt (Ρоnсhоn)

De Jаdis sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Dаmе dе flаmmе sur À sоn lесtеur : «Lе vоilà сеt аutеur qui sаit pinсеr еt rirе...» (Dubоs)

De Yеаts sur Ρаul-Jеаn Τоulеt

De Ιо Kаnааn sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Сurаrе- sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Villеrеу јеаn -pаul sur Détrеssе (Dеubеl)

De ΒооmеrаngΒS sur «Βiеnhеurеuх sоit lе јоur, еt lе mоis, еt l’аnnéе...» (Μаgnу)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе

 



Photo d'après : Hans Stieglitz