Marceline Desbordes-Valmore


Lucretia Davidson


 

    Non, je ne veux plus vivre en ce séjour servile.
ANDRÉ CHÉNIER.


Muse à la voix d’enfant ! quelle route épineuse
Déchira tes pieds d’ange égarés loin des cieux ?
Quels épis indigents, fugitive glaneuse,
Nourrirent tes destins frêles et gracieux !
Fleur étrangère ! en vain l’eau coule entre ta rive
Et mon rivage, un flot m’attire aux malheureux.
Je suis leur écho triste où leur plainte m’arrive :
Près de moi, loin de moi, j’ai des larmes pour eux !
 
Oh ! que d’êtres charmants étonnés de la terre,
Ne sachant où porter leur âme solitaire,
Malades de la vie, altérés d’en guérir,
Au milieu de leurs jours s’arrêtent pour mourir !
 
Tu pleurais de l’entrave attachée à tes ailes,
Toi ! replongeant ton vol dans le ciel étoilé,
Sur ton astre tremblant aux pâles étincelles,
Tu consolais tes yeux d’un sommeil envolé.
 
Eh bien ! ton front brûlant est voilé sous l’argile ;
Ton âme est échappée à sa prison fragile ;
Un tissu délicat se brise sans effort ;
Ainsi l’œuf au soleil éclate après l’orage :
L’ange qu’il enfermait a ressaisi l’essor,
Et ton dernier soupir fut un cri de courage !
Ne demandais-tu pas ce repos virginal ?
Sur ta tombe innocente un oiseau matinal
Ne va-t-il pas verser quelque suave plainte,
Douce comme ta voix, ta douce voix éteinte ?
La rosée en tombant de ton jeune cyprès,
Ne baigne-t-elle pas ton sommeil calme et frais ?
Dis ! ne souris-tu pas quand ta rêveuse étoile,
Le soir dans ses rayons humides et flottants
Glisse un chaste baiser sur la pudique toile,
Où le ciel, qui t’aimait, plongea tes beaux printemps ?
 
Non ! tu ne voudrais plus cueillir nos fleurs avares
Dont les acres parfums tourmentaient ta raison ;
De nos rangs consternés, libre, tu te sépares,
Et tu ne bois plus l’air où roule le poison.
Le monde t’a fait peur ; de ses bruits alarmée,
Tu te penchas, soumise et vierge, sous la mort,
          Et tu t’envolas, fleur fermée,
T’épanouir aux feux qui n’ont pas de remord.
 
Tu ne vins pas, d’un jour prolongeant ton voyage,
Tenter de nos climats l’air tiède et transparent,
Sous le voile d’encens où bride leur bel âge,
          Regarder tes sœurs en mourant !
 
De celle dont le cœur s’enferme et bat si vite *,
Toi ! tu pouvais prétendre à rencontrer la main :
L’ange blessé l’attire au bord de son chemin,
Et sa grâce peut-être eût enchaîné ta fuite,
 
À ta pure souffrance elle eût jeté ses fleurs ;
De sa lyre voilée elle eût touché ta lyre ;
Et dans ses vers brillants, que de loin j’ose lire,
Ton nom jeune eût vécu, baptisé de ses pleurs !
 
Tu n’as pas vu Delpbine à son adolescence,
Muse qui prit son vol si près de ta naissance,
Que l’on eût dit vos jours nés de la même fleur ;
Sur son front imprégné de gloire et d’innocence,
Tu n’as pu, jeune sainte, apaiser ta douleur.
Non ! l’étoile fuyait. Ton oreille enfantine,
Doucement rappelée au mouvement des flots,
N’aura pas entendu rouler la brigantine
D’une exilée aussi qui chante ses sanglots **.
 
Et tu laisses tomber tes larmes poétiques,
Comme un cygne qui meurt, ses sons mélodieux :
Cris d’âme ! ils font vibrer les feuilles prophétiques
Où s’épanchaient tout bas tes précoces adieux ;
Car tu tremblais de vivre et tu cherchais ta tombe,
Seule, sous un rameau qui n’a pas vu l’hiver ;
D’une vie effleurée, inquiète colombe,
          Tu laissas le livre entrouvert.
 
Que de chants étouffés ! que de pages perdues !
Que d’hymnes au silence avec toi descendues !
Tu sortais d’être enfant, Lucretia... Tu meurs,
Et tu le voulus bien ! Pardonne à nos clameurs.
 
Non ! je n’ose pleurer dans ma pensée amère ;
Non, je ne te plains pas, mais que je plains ta mère !
 
_________
* Madame Tastu.
** Madame Pauline Duchambage.

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