Marceline Desbordes-Valmore

Les Pleurs, 1833


Le Coucher du petit garçon


 
Couchez-vous, petit Paul ! il pleut, c’est nuit, c’est l’heure.
Les loups sont au rempart, le chien vient d’aboyer ;
La cloche a dit : Dormez ! et l’Ange gardien pleure,
Quand les enfans si tard font du bruit au foyer.
 
— « Je ne veux pas toujours aller dormir ! et j’aime
À faire étinceler mon sabre au feu du soir ;
Et je tuerai les loups ! je les tuerai moi-même ! »
Et le petit méchant, tout nu ! vint se rassoir.
 
Où sommes-nous, mon Dieu ! donnez-nous patience ;
Et surtout soyez Dieu ! soyez lent à punir :
L’âme qui vient d’éclore a si peu de science !
Attendez sa raison, mon Dieu ! dans l’avenir.
 
L’oiseau qui brise l’œuf est moins près de la terre ;
Il vous obéit mieux : au coucher du soleil,
Un par un descendus dans l’arbre solitaire,
Sous le rideau qui tremble ils plongent leur sommeil.
 
Au colombier fermé nul pigeon ne roucoule,
Sous le cygne endormi l’eau du lac bleu s’écoule,
Paul ! trois fois la couveuse a compté ses enfants ;
Son aile les enferme ; et moi, je vous défends !
 
La lune qui s’enfuit toute pâle et fâchée,
Dit : Quel est cet enfant qui ne dort pas encor !
Sous son lit de nuage elle est déjà couchée ;
Au fond d’un cercle noir la voilà qui s’endort.
 
Le petit mendiant perdu seul, à cette heure,
Rôdant avec ses pieds las et froids, doux martyr !
Dans la rue isolée où sa misère pleure,
Mon Dieu ! qu’il aimerait un lit pour s’y blottir !
 
Et Paul, qui regardait encor sa belle épée,
Se coucha doucement en pliant ses habits :
Et sa mère bientôt ne fut plus occupée
Qu’à baiser ses yeux clos par un ange assoupis !
 

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