Marceline Desbordes-Valmore


Jours d’été


 

À ma sœur Cécile


Ma sœur m’aimait en mère ; elle m’apprit à lire ;
Ce qu’elle y mit d’ardeur ne saurait se décrire.
Mais l’enfant ne sait pas qu’apprendre, c’est courir,
Et qu’on lui donne, assis, le monde à parcourir.
Voir ! Voir ! L’enfant veut voir. Les doux bruits de la rue,
Albertine charmante à la vitre apparue,
Élevant ses bouquets, ses volants, et, là-bas,
Les jeux qui m’attendaient et ne commençaient pas ;
Et le livre avait tort ! Tous les livres du monde
Ne valaient pas un chant de la lointaine ronde
Où mon âme sans moi tournait de main en main,
Quand ma sœur avait dit : « Tu danseras demain. »
Demain, c’était jamais. Ma jeune providence,
Nouant d’un fil prudent les ailes de la danse,
Me répétait en vain toute grave et tout bas :
« Vois donc ! Je suis heureuse, et je ne danse pas. »
 
                            J’aimais tant les anges
                            Glissant au soleil !
                            Ce flot sans mélanges
                            D’amour sans pareil,
                            Étude vivante
                            D’avenirs en fleurs,
                            École savante,
                            Savante au bonheur !
 
Pour regarder de près ces aurores nouvelles,
Mes six ans curieux battaient toutes leurs ailes ;
Marchant sur l’alphabet rangé sur mes genoux,
La mouche en bourdonnant me disait : « Venez-vous ?... »
Et mon nom qui teintait dans l’air ardent de joie,
Les pigeons sans liens sous leur robe de soie,
Mollement envolés de maison en maison,
Dont le fluide essor entraînait ma raison,
Les arbres, hors des murs, poussant leurs têtes vertes,
Jusqu’au fond des jardins les demeures ouvertes,
Le rire de l’été sonnant de toutes parts,
Et le congé, sans livre ! errant aux vieux remparts :
Tout combattait ma sœur à l’aiguille attachée ;
Tout passait en chantant sous ma tête penchée ;
Tout m’enlevait, boudeuse, et riante à la fois ;
Et l’alphabet toujours s’endormait dans ma voix.
 
Oh ! L’enfance est poète. Assise ou turbulente,
Elle reconnaît tout empreint de plus haut lieu :
L’oiseau qui jette au loin sa musique volante
        Lui chante une lettre de Dieu !
 
Esprit qui passe, ouvrant ton aile souple et forte
Au souffle impérieux qui l’enivre et l’emporte,
D’où vient qu’à ton beau rêve, où se miraient les cieux,
Je sens fondre une larme en un coin de mes yeux ?
C’est qu’aux flots de lait pur que me versait ma mère
Ne se mêlait alors pas une goutte amère ;
C’est qu’on baisait l’enfant qui criait : « Tout pour moi ! »
C’est qu’on lui répondait encore : « oui ! Tout pour toi !
Veux-tu le monde aussi ? Tu l’auras, ma jeune âme. »
Hélas ! Qu’avons-nous eu ? Belle espérance ! ô femme !
Ô toi qui m’as trompée avec tes blonds cheveux,
Tes chants de rossignol et tes placides jeux !
 
Ma sœur, ces jours d’été nous les courions ensemble,
Je reprends sous leurs flots ta douce main qui tremble,
Je t’aime du bonheur que tu tenais de moi !
Et mes soleils d’alors se rallument sur toi !
Mais j’épelais enfin : l’esprit et la lumière,
Éclairaient par degrés la page, la première
D’un beau livre, terni sous mes doigts, sous mes pleurs,
Où la bible aux enfants ouvre toutes ses fleurs.
Pourtant c’est par le cœur, cette bible vivante,
Que je compris bientôt qu’on me faisait savante.
Dieu ! Le jour n’entre-t-il dans notre entendement
Que trempé pour jamais d’un triste sentiment ?
 
Un frêle enfant manquait aux genoux de ma mère.
Il s’était comme enfui par une bise amère !
Et, disparu du rang de ses petits amis,
Au berceau blanc, le soir, il ne fut pas remis.
Ce vague souvenir sur ma jeune pensée
Avait pesé deux ans, et puis m’avait laissée.
Je ne comprenais plus pourquoi, pâle de pleurs,
Ma mère vers l’église allait avec ses fleurs.
L’église, en ce temps-là, des vertes sépultures,
Se composait encor de sévères ceintures,
Et, versant sur les morts ses longs hymnes fervents,
Au rendez-vous de tous appelait les vivants.
C’était beau d’enfermer dans une même enceinte,
La poussière animée et la poussière éteinte ;
C’était doux, dans les fleurs éparses au saint lieu,
De respirer son père en visitant son Dieu.
 
      J’y pense : un jour de tiède et pâle automne,
      Après le mois qui consume et qui tonne,
      Près de ma sœur et ma main dans sa main,
      De notre-dame ayant pris le chemin
      Tout sinueux, planté de croix fleuries,
      Où se mouraient des couronnes flétries,
      Je regardais avec saisissement
      Ce que ma sœur saluait tristement.
      La lune large avant la nuit levée,
      Comme une lampe avant l’heure éprouvée,
      D’un reflet rouge enluminait les croix,
      L’église blanche et tous ces lits étroits ;
      Puis, dans les coins, le chardon solitaire
      Éparpillait ses flocons sur la terre.
      Sans deviner ce que c’est que mourir,
      Devant la mort je n’osai plus courir.
      Un ruban gris qui serpentait dans l’herbe,
      De résédas nouant l’humide gerbe,
      Tira mon âme au tertre le plus vert,
      Sous la madone au flanc sept fois ouvert.
      Là, j’épelai notre nom de famille,
      Et je pâlis, faible petite fille ;
      Puis, mot à mot : « Notre dernier venu
      Est passé là vers le monde inconnu ! »
 
      Cette leçon, aux pieds de Notre-Dame,
      Mouilla mes yeux et dessilla mon âme.
      Je savais lire, et j’appris sous des fleurs
      Ce qu’une mère aime avec tant de pleurs.
      Je savais lire... et je pleurai moi-même.
      Merci, ma sœur ! On pleure dès qu’on aime.
      Si jeune donc que soit le souvenir,
      C’est par un deuil qu’il faut y revenir ?
 
Mais que j’aime à t’aimer, sœur charmante et sévère,
Qui reçus pour nous deux l’instinct qui persévère ;
Rayon droit du devoir, humble, ardent et caché,
Sur mon aveugle vie à toute heure épanché !
Oh ! si Dieu m’aime encore, oh ! si Dieu me remporte,
Comme un rêve flottant, sur le seuil de ta porte,
Devant mes traits changés si tu fermes tes bras,
Je saisirai ta main... tu me reconnaîtras !
 

Bouquets et Prières, 1843

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