Désaugiers


Tableau de Paris à cinq heures du soir


 
 

Air : Vive la Lithographie.


 
En tous lieux la foule
Par torrents s’écoule ;
L’un court, l’autre roule :
Le jour baisse et fuit.
Les affaires cessent ;
Les dîners se pressent,
Les tables se dressent ;
Il est bientôt nuit.
 
Là, je devine
Poularde fine,
Et bécassine,
Et dindon truffé ;
Plus loin je hume
Salé, légume,
Cuits dans l’écume
D’un bœuf réchauffé.
 
Le sec parasite
Flaire... et trotte vite
Partout où l’invite
L’odeur d’un repas ;
Le surnuméraire
Pour vingt sous va faire
Une maigre chère
Qu’il ne payera pas.
 
Plus loin, qu’entends-je ?
Quel bruit étrange
Et quel mélange
De tons et de voix !
Chants de tendresse,
Cris d’allégresse,
Chorus d’ivresse
Partent à la fois.
 
Les repas finissent ;
Les teints refleurissent ;
Les cafés s’emplissent ;
Et trop aviné,
Un lourd gastronome
De sa chute assomme
Le corps d’un pauvre homme
Qui n’a pas dîné.
 
Le moka fume,
Le punch s’allume,
L’air se parfume ;
Et de crier tous :
« Garçons, ma glace !
— Ma demi-tasse !...
— Monsieur, de grâce,
Paris, après vous.
 
Les journaux se lisent ;
Les liqueurs s’épuisent ;
Les jeux s’organisent ;
Et l’habitué,
Le nez sur sa canne,
Approuve ou chicane,
Défend ou condamne
Chaque coup joué.
 
La tragédie,
La comédie,
La parodie,
Les escamoteurs,
Tout jusqu’au drame
Et mélodrame,
Attend, réclame
L’or des amateurs.
 
Les quinquets fourmillent ;
Les lustres scintillent ;
Les magasins brillent ;
Et, l’air agaçant,
La jeune marchande
Provoque, affriande
Et de l’œil commande
L’emplette au passant.
 
Des gens sans nombre
D’un lieu plus sombre
Vont chercher l’ombre
Chère à leurs desseins.
L’époux convole,
Le fripon vole,
Et l’amant vole
À d’autres larcins.
 
Jeannot, Claude, Blaise,
Nicolas, Nicaise,
Tous cinq de Falaise
Récemment sortis,
Élevant la face,
Et cloués sur place,
Devant un paillasse
S’amusent gratis.
 
La jeune fille,
Quittant l’aiguille,
Rejoint son drille
Au bal de Luquet ;
Et sa grand-mère
Chez la commère
Va coudre et faire
Son cent de piquet.
 
Dix heures sonnées,
Des pièces données
Trois sont condamnées
Et se laissent choir.
Les spectateurs sortent,
Se poussent, se portent...
Heureux, s’ils rapportent
Et montre et mouchoir.
 
« Saint-Jean, la Flèche,
Qu’on se dépêche...
Notre calèche !
Mon cabriolet ! »
Et la livrée,
Quoique enivrée,
Plus altérée
Sort du cabaret.
 
Les carrosses viennent,
S’ouvrent et reprennent
Leurs maîtres qu’ils mènent
En se succédant ;
Et d’une voix âcre,
Le cocher de fiacre
Peste, jure et sacre
En rétrogradant.
 
Quel tintamarre !
Quelle bagarre !
Aux cris de gare
Cent fois répétés,
Vite on traverse,
On se renverse,
On se disperse
De tous les côtés.
 
La sœur perd son frère,
La fille son père,
Le garçon sa mère
Qui perd son mari ;
Mais un galant passe,
S’avance avec grâce,
Et s’offre à la place
De l’époux chéri.
 
Plus loin, des belles
Fort peu rebelles,
Par ribambelles,
Errant à l’écart,
Ont doux visage,
Gentil corsage...
Mais je suis sage...
D’ailleurs il est tard.
 
Faute de pratique,
On ferme boutique.
Quel contraste unique
Bientôt m’est offert !
Ces places courues,
Ces bruyantes rues.
Muettes et nues,
Sont un noir désert.
 
Une figure
De triste augure
M’approche et jure
En me regardant...
Un long qui vive !
De loin m’arrive
Et je m’esquive
De peur d’accident.
 
Par longs intervalles,
Quelques lampes pâles,
Faibles, inégales,
M’éclairent encore...
Leur feu m’abandonne.
L’ombre m’environne ;
Le vent seul résonne :
Silence !... tout dort.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Jасоb : Lе Dépаrt

Βеrtrаnd : Μоn Βisаïеul

Ρоnсhоn : Lе Gigоt

Lа Fоntаinе : Lе Сhаrtiеr еmbоurbé

Jасоb : Silеnсе dаns lа nаturе

Βоilеаu : Sаtirе VΙΙΙ : «Dе tоus lеs аnimаuх qui s’élèvеnt dаns l’аir...»

Sigоgnе : «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...»

Du Βеllау : «Соmtе, qui nе fis оnс соmptе dе lа grаndеur...»

Βаudеlаirе : Αu Lесtеur

Сhrеtiеn dе Τrоуеs : «Се fut аu tеmps qu’аrbrеs flеurissеnt...»

Τоulеt : «Dаns lе lit vаstе еt dévаsté...»

Riсtus : Jаsаntе dе lа Viеillе

☆ ☆ ☆ ☆

Lаfоrguе : Соmplаintе d’un аutrе dimаnсhе

Vеrlаinе : Lе Dеrniеr Dizаin

Νоël : Visiоn

Siеfеrt : Vivеrе mеmеntо

Dеshоulièrеs : Sоnnеt burlеsquе sur lа Ρhèdrе dе Rасinе

Τоulеt : «Τоi qui lаissеs pеndrе, rеptilе supеrbе...»

Siсаud : Lа Grоttе dеs Léprеuх

Соppéе : «Сhаmpêtrеs еt lоintаins quаrtiеrs, је vоus préfèrе...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сurаrе= sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

De Сurаrе- sur «Ιl n’еst riеn dе si bеаu соmmе Саlistе еst bеllе...» (Μаlhеrbе)

De Сосhоnfuсius sur Lа Соlоmbе pоignаrdéе (Lеfèvrе-Dеumiеr)

De Сосhоnfuсius sur Lе Саuсhеmаr d’un аsсètе (Rоllinаt)

De Сосhоnfuсius sur «Μаrs, vеrgоgnеuх d’аvоir dоnné tаnt d’hеur...» (Du Βеllау)

De Xi’аn sur Lе Gigоt (Ρоnсhоn)

De Jаdis sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Dаmе dе flаmmе sur À sоn lесtеur : «Lе vоilà сеt аutеur qui sаit pinсеr еt rirе...» (Dubоs)

De Yеаts sur Ρаul-Jеаn Τоulеt

De Ιо Kаnааn sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Сurаrе- sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Villеrеу јеаn -pаul sur Détrеssе (Dеubеl)

De ΒооmеrаngΒS sur «Βiеnhеurеuх sоit lе јоur, еt lе mоis, еt l’аnnéе...» (Μаgnу)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе