Tristan Derème



Le Passé maugréait et frappait à la porte.
Je me taisais. Il m’appela d’une voix forte ;
Mais je continuai de songer à tes yeux ;
Et j’entendais crier le vieillard furieux,
Grelottant dans la nuit sous sa mante à ramages,
 
Il est entré portant un vieux livre d’images.
 
Laure, dans la maison à l’ombre des sureaux,
Songeuse, tu brodais derrière les carreaux,
Et, si j’apercevais un livre à ta fenêtre,
Je sonnais à la grille et tu voyais paraître,
Au jardin envahi d’herbe et de serpolet,
Celui qui dans les soirs longuement te parlait
Et déroulait son rêve ainsi qu’un paysage...
Laure, où sont tes cheveux, tes mains et ton visage ?...
 
Vous qui pleuriez, mélancolique, au soir tombant ;
Toi qui sur ton épaule attachais un ruban
Mauve ; toi qui jouais Manon et l’ouverture
De Tannhäuser ; toi qui riais dans ta voiture...
Ô passé, plein de fleurs et de chardonnerets !
Rires ! Passé léger ! Passé tendre ! Regrets !
Mésanges, accourez, mes lointaines pensées !
Ô souvenirs, rameaux flétris, branches cassées...
 
Oui, j’aurais dû, ce soir, te dire tout cela,
T’avouer les penchants où mon cœur s’écoula
Et te montrer au loin ces figures d’argile,
Et nous aurions pleuré de sentir si fragile
Notre amour qui s’éveille et frissonne au soleil
D’automne, notre amour incassable et pareil
Aux beaux jouets de notre enfance. Mais qu’importe,
Si l’espérance encore ouvre la vieille porte ?
Elle parle ; sa voix illumine tes yeux ;
Son regard verse en nous la lumière des cieux.
Sous le manteau de pourpre et la cuirasse triple,
Cheveux au vent, partons pour le vaste périple.
Les merles se sont tus devant l’astre éclatant ;
Et le navire aux voiles blanches nous attend
Au port, prêt à cingler vers les îles lointaines
Où le bonheur fleurit aux rives des fontaines.
Je ne sais quelle main nous pousse. Nous rirons
Des rafales soufflant dans leurs rauques clairons ;
Et, comme ivres, car l’Univers nous est complice,
Les flots noirs et cabrés nous seront un délice.
 
Ainsi nous voguerons sur l’eau cruelle ou sur
L’eau calme, sous tes coups, tonnerre, ou sous l’azur,
Sous la lune indulgente ou dans l’ombre sauvage.
Et plus tard n’ayant vu briller aucun rivage,
Revenus, mais encor, les doigts ensanglantés,
Rêvant que sur la mer âpre des voluptés
Il est pourtant après les tempêtes quelque île
Où boire le bonheur d’une âme enfin tranquille,
Fourbus, endoloris, meurtris, nous changerons
La voile blanche ou nous prendrons les avirons,
Sur l’eau vaine luttant, mangeant notre colère,
Pauvres rameurs perdus sur la vieille galère.
 

Petits poèmes, 1910

Commentaire (s)
Déposé par fanfan le 10 février 2014 à 20h11

sympa le voyage !j’aime beaucoup la distance par rapport au vécu et la part de rêve;.
La tournure de la phrase toujours à la limite de la prose mais le sens poétique est bien là

[Lien vers ce commentaire]

Déposé par Christian le 11 février 2014 à 10h12

La poésie est meilleure quand elle ressemble à de la prose.

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