Jacques Delille

Les Jardins


Avertissement


 

Plusieurs personnes d’un grand mérite ont écrit en prose sur les jardins. L’auteur de ce poème leur a emprunté quelques préceptes, et même quelques descriptions. Dans plusieurs endroits il a eu le bonheur de se rencontrer avec eux ; car son poème a été commencé, avant que leurs ouvrages parussent. Il ne dissimulera pas que c’est avec la plus grande défiance qu’il livre à l’impression cet ouvrage trop attendu, et surtout trop loué. L’indulgence extrême de ceux qui l’ont entendu, lui est un garant trop sûr de la rigueur de ceux qui le liront.

Ce poème a d’ailleurs un très grand inconvénient, celui d’être un poème didactique. Ce genre est nécessairement un peu froid, et doit le paraître encore davantage à une nation qui ne supporte guère, comme on l’a souvent remarqué, que les vers composés pour le théâtre, et qui sont la peinture des passions ou des ridicules. Peu de personnes, je dirais même peu de gens de lettres, lisent les Géorgiques de Virgile ; et tous ceux qui connaissent la langue latine, savent par cœur le quatrième livre de l’Énéide.

Dans le premier de ces deux poèmes, le poète semble regretter que les bornes de son sujet ne lui permettent pas de chanter les jardins. Après avoir lutté longtemps contre les détails un peu ingrats de la culture générale des champs, il paraît désirer de se reposer sur des objets plus riants. Mais resserré dans les limites de son sujet, il s’en est dédommagé par une esquisse rapide et charmante des jardins, et par ce touchant épisode d’un vieillard heureux dans son petit enclos cultivé par ses mains.

Ce que le poète romain regrettait de ne pouvoir faire, le père Rapin l’a exécuté. Il a écrit dans la langue et quelquefois dans le style de Virgile, un poème en quatre chants sur les jardins, qui eut un grand succès, dans un temps où on lisait encore des vers latins modernes.

Son ouvrage n’est pas sans élégance ; mais on y désirerait plus de précision, et des épisodes plus heureux.

Le plan de son poème manque d’ailleurs d’intérêt et de variété. Un chant tout entier est consacré aux eaux, un aux arbres, un aux fleurs.

On devine d’avance ce long catalogue et cette énumération fastidieuse qui appartient plus à un botaniste qu’à un poète : et cette marche méthodique, qui serait un mérite dans un traité en prose, est un grand défaut dans un ouvrage en vers, où l’esprit demande qu’on le mène par des routes un peu détournées, et qu’on lui présente des objets inattendus.

De plus, il a chanté les jardins du genre régulier, et la monotonie attachée à la grande régularité a passé du sujet dans le poème.

L’imagination, naturellement amie de la liberté, tantôt se promène péniblement dans les dessins contournés d’un parterre, tantôt va expirer au bout d’une longue allée droite. Partout elle regrette la beauté un peu désordonnée et la piquante irrégularité de la nature.

Enfin, il n’a traité que la partie mécanique de l’art des jardins. Il a entièrement oublié la partie la plus essentielle, celle qui cherche dans nos sensations, dans nos sentiments, la source des plaisirs que nous causent les scènes champêtres et les beautés de la nature, perfectionnées par l’art.

En un mot, ses jardins sont ceux de l’architecte ; les autres sont ceux du philosophe, du peintre et du poète.

Ce genre a beaucoup gagné depuis quelques années ; et si c’est encore un effet de la mode, il faut lui rendre grâce. L’art des jardins, qu’on pourrait appeler le luxe de l’agriculture, me paraît un des amusements les plus convenables, je dirais presque les plus vertueux des personnes riches. Comme culture, il les ramène à l’innocence des occupations champêtres ; comme décoration, il favorise sans danger ce goût de dépenses, qui suit les grandes fortunes : enfin, il a, pour cette classe d’hommes, le double avantage de tenir à la fois aux goûts de la ville et à ceux de la campagne.

Ce plaisir des particuliers s’est trouvé joint à l’utilité publique : il a fait aimer aux personnes opulentes le séjour de leurs terres. L’argent qui aurait entretenu les artisans du luxe, va nourrir les cultivateurs, et la richesse retourne à sa véritable source. De plus, la culture s’est enrichie d’une foule de plantes ou d’arbres étrangers ajoutés aux productions de notre sol, et cela vaut bien tout le marbre que nos jardins ont perdu.

Heureux si ce poème peut répandre encore davantage ces goûts simples et purs ! Car, comme l’auteur de ce poème l’a dit ailleurs, qui fait aimer les champs, fait aimer la vertu.


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