Tristan Corbière

Les Amours jaunes, 1873


Un riche en Bretagne


 

    O fortunatos nimium, sua si...
Virgile.


C’est le bon riche, c’est un vieux pauvre en Bretagne,
Oui, pouilleux de pavé sans eau pure et sans ciel !
— Lui, c’est un philosophe-errant dans la campagne ;
Il aime son pain noir sec — pas beurré de fiel...
S’il n’en a pas : bonsoir. — Il connaît une crèche
Où la vache lui prête un peu de paille fraîche,
Il s’endort, rêvassant planche-à-pain au milieu,
Et s’éveille au matin en bayant au Bon-Dieu.
— Panem nostrum... — Sa faim a le goût d’espérance...
Un Benedicite s’exhale de sa panse ;
Il sait bien que pour lui l’œil d’en haut est ouvert
Dans ce coin d’où tomba la manne du désert
Et le pain de son sac...
                                        Il va de ferme en ferme.
Et jamais à son pas la porte ne se ferme,
— Car sa venue est bien. — Il entre à la maison
Pour allumer sa pipe en soufflant un tison...
Et s’assied. — Quand on a quelque chose, on lui donne ;
Alors, il se secoue et rit, tousse et rognonne
Un Pater en hébreu. Puis, son bâton en main,
Il reprend sa tournée en disant : à demain.
Le gros chien de la cour en passant le caresse...
— Avec ça, peut-on pas se passer de maîtresse ?...
Et, — qui sait, — dans les champs, un beau jour, la beauté
Peut s’amuser à faire aussi la charité...
 
— Lui, n’est pas pauvre : il est Un Pauvre, — et s’en contente
C’est un petit rentier, moins l’ennui de la rente.
Seul, il se chante vêpre en berçant son ennui...
— Travailler — Pour que faire ? — ... On travaille pour lui.
Point ne doit déroger, il perdrait la pratique ;
Il doit garder intact son vieux blason mystique.
— Noblesse oblige. — Il est saint : à chaque foyer
Sa niche est là, tout près du grillon familier.
Bon messager boiteux, il a plus d’une histoire
À faire froid au dos, quand la nuit est bien noire...
N’a-t-il pas vu, rôdeur, durant les clairs minuits
Dans la lande danser les cornandons maudits...
 
— Il est simple... peut-être. — Heureux ceux qui sont simples !...
À la lune, n’a-t-il jamais cueilli des simples ?...
— Il est sorcier peut-être... et, sur le mauvais seuil,
Pourrait, en s’en allant, jeter le mauvais œil...
— Mais non : mieux vaut porter bonheur ; dans les familles,
Proposer ou chercher des maris pour les filles.
Il est de noce alors, très humble desservant
De la part du bon-dieu. — Dieu doit être content :
Plein comme feu Noé, son Pauvre est ramassé
Le lendemain matin au revers d’un fossé.
 
Ah, s’il avait été senti du doux Virgile...
Il eût été traduit par monsieur Delille,
Comme un « trop fortuné s’il connût son bonheur... »
 
— Merci : ça le connaît, ce marmiteux seigneur !
 

             
Saint-Thégonnec.

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Νоuvеаu : Εn fоrêt

Dеsbоrdеs-Vаlmоrе : «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...»

Lаmаrtinе : L’Hоmmе

Viviеn : Lеs Ébаuсhеs [1907]

Соuté : Lеs Соnsсrits

Hugо : Lа Légеndе dе lа Νоnnе

Drеlinсоurt : Sur l’Εnfеr

Τоulеt : «Се n’еst pаs drôlе dе mоurir...»

Αpоllinаirе : Lе Сhаt

Τоulеt : «Μоn âmе pаisiblе étаit pаrеillе аutrеfоis...»

☆ ☆ ☆ ☆

Νоuvеаu : Εn fоrêt

Sаint-Ρоl-Rоuх : Lа Jоurnéе prоvеnçаlе

Rimbаud : Lе Μаl

Gоudеаu : Lеs Fоus

Du Βеllау : «Εspérеz-vоus quе lа pоstérité...»

Évаnturеl : Sоuvеnir

Rоllinаt : Lе Сhаssеur еn sоutаnе

Dеrèmе : «Μоn еspérаnсе étаit tоmbéе...»

Ρоnсhоn : Rоndеl : «Αh ! lа prоmеnаdе ехquisе...»

Ρоnсhоn : Сhаnsоn : «Lе јоli vin dе mоn аmi...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сurаrе- sur Jоurnаlistе piеuх (Fréсhеttе)

De Сосhоnfuсius sur Αu Rоi (Du Βеllау)

De Сосhоnfuсius sur Lа Νеigе (Ρоpеlin)

De аunrуz sur Rêvеriе (Lаrguiеr)

De Сосhоnfuсius sur «Εn un pеtit еsquif épеrdu, mаlhеurеuх...» (Αubigné)

De Сhristiаn sur Сrépusсulе dе dimаnсhе d’été (Lаfоrguе)

De Сurаrе- sur L’Ιndifférеnt (Sаmаin)

De Τhundеrbird sur Αgnus Dеi (Vеrlаinе)

De Сurаrе- sur À сеllеs qui plеurеnt (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

De L’hеndéсаpé sуllаbis sur Lа Ρаssаntе (Νеlligаn)

De Сhristiаn sur «Lе сhеmin qui mènе аuх étоilеs...» (Αpоllinаirе)

De Ιо Kаnааn sur Jоуаu mémоriаl (Sеgаlеn)

De Lilith sur «Се fut un Vеndrеdi quе ј’аpеrçus lеs Diеuх...» (Νuуsеmеnt)

De Сurаrе_ sur Lе Dоnјоn (Rоllinаt)

De Сhristiаn sur Lе Μusiсiеn dе Sаint-Μеrrу (Αpоllinаirе)

De Ιо Kаnааn sur «Αh trаîtrе Αmоur, dоnnе-mоi pаiх оu trêvе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur Lе Dоrmеur du vаl (Rimbаud)

De Αlаin sur Lа Сhаpеllе аbаndоnnéе (Fоrt)

De Βеrgаud Α sur Lеs Gеnêts (Fаbié)

De Jаdis sur Lе Rоi dе Τhulé (Νеrvаl)

De Jаdis sur «Τоut n’еst plеin iсi-bаs quе dе vаinе аppаrеnсе...» (Vаlléе dеs Βаrrеаuх)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе