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Les Amours jaunes, 1873
Élégie de corps-de-garde à la mémoire des douaniers gardes-côtes mis à la retraite le 30 novembre 1869.
Quoi, l’on te fend l’oreille ! est-il vrai qu’on te rogne,
Douanier ?... Tu vas mourir et pourrir sans façon,
Gablou ?... — Non ! car je vais t’empailler — Qui qu’en grogne ! —
Mais, sans te déflorer : avec une chanson ;
Et te coller ici, boucané de mes rimes,
Comme les varechs secs des herbiers maritimes.
— Ange-gardien culotté par les brises,
Pénate des falaises grises,
Vieux oiseau salé du bon Dieu
Qui flânes dans la tempête,
Sans auréole à ta tête,
Sans aile à ton habit bleu !...
Je t’aime, modeste amphibie
Et ta bonne trogne d’amour,
Anémone de mer fourbie
Épanouie à mon bonjour !...
Et j’aime ton bonjour, brave homme,
Roucoulé dans ton estomac,
Tout gargarisé de rogomme
Et tanné de jus de tabac !
J’aime ton petit corps de garde
Haut perché comme un goéland
Qui regarde
Dans les quatre aires-de-vent.
Là, rat de mer solitaire,
Bien loin du contrebandier
Tu rumines ta chimère :
— Les galons de brigadier ! —
Puis un petit coup-de-blague
Doux comme un demi-sommeil...
Et puis : bâiller à la vague,
Philosopher au soleil...
La nuit, quand fait la rafale
La chair-de-poule au flot pâle,
Hululant dans le roc noir...
Se promène une ombre errante ;
Soudain : une pipe ardente
Rutile... — Ah ! douanier, bonsoir.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
— Tout se trouvait en toi, bonne femme cynique :
Brantôme, Anacréon, Barème et le Portique ;
Homère-troubadour, vieille Muse qui chique !
Poète trop senti pour être poétique !...
— Tout : sorcier, sage-femme et briquet phosphorique,
Rose-des-vents, sacré gui, lierre bacchique,
Thermomètre à l’alcool, coucou droit à musique,
Oracle, écho, docteur, almanach, empirique,
Curé voltairien, huître politique...
— Sphinx d’assiette d’un sou, ton douanier souvenir
Lisait le bordereau même de l’avenir !
— Tu connaissais Phœbé, Phœbus, et les marées...
Les amarres d’amour sur les grèves ancrées
Sous le vent des rochers ; et tout amant fraudeur
Sous ta coupe passait le colis de son cœur...
— Tu reniflais le temps, quinze jours à l’avance,
Et les noces : neuf mois... et l’état de la France ;
Tu savais tous les noms, les cancans d’alentour,
Et de terre et de mer, et de nuit et de jour !...
Je te disais ce que je savais écrire...
Et nous nous comprenions — tu ne savais pas lire —
Mais ta philosophie était un puits profond
Où j’aimais à cracher, rêveur... pour faire un rond.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un jour — ce fut ton jour ! — Je te vis redoutable :
Sous ton bras fiévreux cahotait la table
Où nageait, épars, du papier timbré ;
La plume crachait dans tes mains alertes
Et sur ton front noir, tes lunettes vertes
Sillonnaient d’éclairs ton nez cabré...
— Contre deux rasoirs d’Albion perfide,
Nous verbalisions ! tu verbalisais !
« Plus les deux susdits... dont un baril vide... »
J’avais composé, tu repolissais...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
— Comme un songe passé, douanier, ces jours de fête !
Fais valoir maintenant tes droits à la retraite...
— Brigadier, brigadier, vous n’aurez plus raison !...
— Plus de longue journée à gratter l’horizon,
Plus de sieste au soleil, plus de pipe à la lune,
Plus de nuit à l’affût des lapins sur la dune...
Plus rien, quoi !... que la goutte et le ressouvenir...
— Ah ! pourtant : tout cela c’est bien vieux pour finir !
— Va, lézard démodé ! Faut passer, mon vieux type ;
Il faut te voir t’éteindre et s’éteindre ta pipe...
Passer, ta pipe et toi, parmi les vieux culots :
L’administration meurt, faute de ballots !...
Telle que, sans rosée, une sombre pervenche
Se replie, en closant sa corolle qui penche...
Telle, sans contrebande, on voit se replier
La capote gris-bleu, corolle du douanier !...
Quel sera désormais le terme du problème :
— L’ennui contemplatif divisé par lui-même ? —
Quel balancier rêveur fera donc les cent pas,
Poète, sans savoir qu’il ne s’en doute pas...
Qui ? sinon le douanier. — Hélas, qu’on me le rende !
Dussé-je pour cela faire la contrebande...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
— Non : fini !... réformé ! Va, l’oreille fendue,
Rendre au gouvernement ta pauvre âme rendue...
Rends ton gabion, rends tes Procès-verbaux divers ;
Rends ton bancal, rends tout, rends ta chique !...
Et mes vers.
 Roscoff. — Novembre.
Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 17 septembre 2015 à 11h15Gardien de la ménagerie
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Maître du beau jardin où tant de monstres sont,
Tu leur tiens compagnie en chantant des chansons.
Un aigle blanc reprend tes plus fameuses rimes,
Lorsqu’il va, survolant les confins maritimes ;
Et le dragon qui plane, à la grâce de Dieu,
Commence la journée en disant tes mots bleus.
Il chante encore mieux, le boeuf aux cornes d’or,
Il donne de la voix, toujours un peu plus fort,
Proclamant les couleurs de l’île qui va seule,
D’azur croisé d’argent et surcroisé de gueules. [Lien vers ce commentaire]
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