François Coppée

De Pièces et de Morceaux


Compliment


 
Tous ces jours-ci, mes chers lecteurs, je désirais,
Tel un petit garçon qui, frisé tout exprès,
Présente son rouleau noué d’un ruban rose,
Vous offrir un joli compliment — vers ou prose —
Pour l’an qui, cette nuit, naquit et commença.
Mais, quand j’étais enfant — oh  ! pas plus haut que ça  ! —
Dans ce genre déjà je n’ai pas fait merveille.
Le texte qu’à l’école on nous donnait, la veille,
Et qu’il fallait, le soir, au logis copier,
M’effrayait. J’ai noirci, depuis, bien du papier  ;
Mais c’étaient mes débuts dans la littérature.
Ces phrases, réclamant ma plus belle écriture,
Étaient alors, pour moi, pleines de « mots d’auteur ».
Sur mon grand tabouret, pour être à la hauteur
Du pupitre, j’avais un Boiste en deux volumes  ;
Devant moi, sur la table, un encrier, des plumes,
Plus un bristol orné d’un beau feston doré
Et fleuri d’un petit bouquet peinturluré.
Devant ce grand travail, que j’étais mal à l’aise  !
Fallait-il adopter la bâtarde ou l’anglaise  ?
Que faire  ? Je mouillais ma plume avec effroi  ;
Je songeais au tableau du passage Jouffroy,
Où monsieur Favarger mit trois ans de sa vie,
Chef-d’œuvre et dernier mot de la calligraphie,
Qui montre aux gens, par un tel art humiliés,
Le « Lion d’Androclès » en « pleins » et « déliés »  ;
Et, le dos rond, roulant les yeux, tirant la langue,
Je transcrivais alors ma petite harangue.
 
Pas mal le « Chers parents, à qui je dois le jour ».
Mais, lorsque j’arrivais au « cœur rempli d’amour »,
Comment écrire « cœur »  ? « Cœur », un mot difficile  !...
Je m’agitais et, comme un petit imbécile,
Je me mettais, avec des gestes consternés,
De l’encre au bout des doigts, de l’encre au bout du nez.
Alors, j’étais perdu. Les fautes d’orthographe
Pleuvaient. Je signais mal et ratais mon paraphe,
Et sur mes beaux souhaits de joie et de santé
Je laissais choir enfin un monstrueux pâté.
 
C’était affreux  !
 
                                Pourtant, plein d’une angoisse énorme,
Le lendemain, avec ce manuscrit informe,
Quand je me présentais devant mes bons parents,
Ils prenaient le papier, ouvraient les yeux tout grands,
S’écriaient  : « C’est superbe  ! » et, sans dédains ni moues,
Embrassaient tendrement leur fils sur les deux joues.
Oui, ma page illisible, ils semblaient l’admirer.
Et l’on ouvrait l’armoire, et j’en voyais tirer
Des trésors, un tambour, un fusil à capsules  !
Et je m’en emparais, joyeux et sans scrupules,
Ne sachant pas alors — pour l’enfant tout est beau —
Pourquoi mon père avait toujours un vieux chapeau
Et pourquoi la maman, sainte parmi les saintes,
Portait des gants flétris et des jupes reteintes.
 
Aux humbles, comme moi nés dans la pauvreté,
Je souhaite d’abord avec sincérité,
Quand la nouvelle année entreprend sa carrière,
Le pain quotidien de la vieille prière  ;
Et puis, pour qu’ils ne soient jamais trop malheureux,
Je leur souhaite encor de bien s’aimer entre eux.
Du pain et de l’amour  ! Tout est là. Le pauvre homme
N’a vraiment pas le droit de trop se plaindre, en somme,
Si, du berceau d’osier au cercueil de sapin,
Toute sa vie, il a de l’amour et du pain.
Mes honnêtes parents n’eurent pas davantage  ;
Mais la bonté régnait dans leur cœur sans partage.
Des sentiments profonds ils ont connu le prix,
Et, si je sais aimer, c’est qu’ils me l’ont appris.
Et tel riche, donnant de splendides étrennes,
N’éprouve pas leur joie en ces heures sereines,
Quand ils payaient, ayant épargné quelques sous,
Mon mauvais compliment par de pauvres joujoux.
 
Mes amis, en ce jour qui groupe la famille,
Si cher que soit le pain, si peu que le feu brille,
Épanouissez-vous, ne devenez pas durs.
Quand les enfants viendront vous tendre leurs fronts purs,
À défaut de cadeaux, comblez-les de caresses.
Entretenez en eux le foyer des tendresses,
Comme, en soufflant dessus, on rallume un charbon.
Le méchant souffre, et presque aucun homme n’est bon
Que grâce aux souvenirs de son enfance aimée,
Dont son âme demeure à jamais parfumée.
 

1er janvier 1894.

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