François Coppée

[Posthumes]



 
Allons, poète, il faut en prendre ton parti !
Tu n’as pas fait songer, et tu n’as converti
Personne à ton amour pour les vertus obscures ;
Tes poèmes naïfs peuplés d’humbles figures
N’ont pas le don de plaire aux heureux d’ici-bas ;
Ton livre les étonne et ne se lira pas.
Le monde, vois-tu bien, ne s’intéresse guère
À ce milieu mesquin, trivial et vulgaire ;
Malgré la sympathie, on est un peu surpris.
Crois-moi, n’y reviens plus... Personne n’a compris
Qu’un lettré, qu’un ami de l’art et de l’étude
Eût, pour ces gens de peu, tant de sollicitude.
— Diable ! Cela n’est pas d’un esprit distingué.
Traiter de tels sujets en vers ! — On est choqué.
Là, franchement, comment veux-tu qu’on s’attendrisse
Sur l’ennuyeux exil d’une pauvre nourrice ?
Veux-tu faire pleurer avec le dévouement
D’un petit employé de l’enregistrement ?
Prends garde, je connais chez toi cette tendance.
Autrefois n’as-tu pas eu l’extrême imprudence
De conter, sans aucune ironie, à dessein,
Les amours d’une bonne avec un fantassin ?
Parler d’un épicier dans la langue de l’ode,
C’est monstrueux. Tu vois, une femme à la mode
Te l’a dit, sans y mettre aucune passion,
Que c’était, à la fin, de l’affectation.
Elle eût pu dire encor que cet art réaliste
Sent un peu l’envieux et le socialiste,
Et te fera bientôt regarder de travers ;
Que ceux qui pour trois francs achèteront des vers
Sont des gens de loisir, ayant de la fortune,
Que ton étrange amour des humbles importune,
Et qu’au lecteur qui sort en voiture, il messied
De parler si souvent de ceux qui vont à pied.
 
Soit, je suis condamné. Mais mon livre est sincère.
J’ai cru qu’il était sain, qu’il était nécessaire,
— À cette heure où, sentant se réveiller en eux
Leurs appétits rivaux et leurs instincts haineux,
Les hommes des deux camps, haut monde et populace,
Prétendent par le fer se disputer la place ;
À cette heure où mon pied qui foule le pavé
Pourrait glisser encor dans le sang mal lavé,
Où les assassinats, les vols, les sacrilèges
Viennent de cimenter tous les vieux privilèges,
Et de rendre encor plus intense et plus fougueux
L’égoïsme du riche et la rage du gueux, —
J’ai cru, dis-je, j’ai cru qu’il pouvait être utile
Au milieu des écrits que la haine distille,
Des cris injurieux et des mots provocants
Que se jettent de part et d’autre les deux camps,
De publier, parmi la fureur générale,
Un livre familier, sans phrases, sans morale,
Sans politique aucune, et tout d’apaisement,
Qui dirait à l’heureux du monde, simplement,
Que ce peuple qu’il voit passer sous sa fenêtre,
Ce peuple qu’il méprise et ne veut pas connaître,
Conserve plus d’un bon sentiment ignoré ;
Et qui dirait encore au pauvre, à l’égaré,
Que, dans l’adversité, le meilleur, le plus digne,
Le plus grand, est toujours celui qui se résigne ;
Qui dirait tout cela sans trop en avoir l’air,
Par de simples récits, dans un langage clair,
Et qui dégageraient une bonne atmosphère.
— Ce livre, j’ai tenté seulement de le faire,
Et je l’ai bien mal fait, puisqu’on n’a pas compris.
Comme ceux dont il parle, au milieu du mépris,
Sa bonne intention sans doute ira s’éteindre ;
Et tout ce qu’il voulait faire aimer, faire plaindre,
Rentrera pour toujours dans son obscurité
Comme l’humble rêveur qui l’a si mal chanté.
 

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