Roger de Collerye


Complainte de l’infortuné et de regrets importuné


 
Considérant le cours de vie humaine,
Mon simple état, train tel que et domaine,
Qu’il n’est besoin le mettre en inventaire,
N’enregistrer, mais trop mieux de le taire,
Certain je suis que des biens terriens
Après la mort n’emporte en terre rien
Le riche et plain, soit-il gras ou maigret,
Fors un linceul. Posé qu’il soit esgret
Passer le pas, où le grand, le petit,
Comme je crois, n’y prend nul appétit,
Ce néanmoins, sans avoir ordonné,
Du Créateur a été ordonné
Qu’il nous convient tous mourir sans appel
Et de laisser en la terre la pel.
Où l’âme va, je n’en saurais juger ;
À Dieu en est, non à autre, adjuger
Si Paradis ladite âme possède,
Car lui tout seul le permet et concède.
Et pour autant que écus, ducats à voir
Sont fort plaisants, il en fait bon avoir,
Pareillement revenus et offices,
Meubles foison, et aussi bénéfices,
Sans les avoir injustement acquis,
Et en user ainsi qu’il est requis,
Car à la fin il n’y a si ni qua,
Rendre il en faut le compte et reliquat.
 
Trop mieux vaudrait se voir berger ès champs
Que d’être au rang et nombre des méchants,
Et mal mourir. Ô terreur merveilleuse !
Ô pauvre fin ! ô fin très périlleuse,
De ceux qui sont ainsi prédestinés
Vivre en péchés et en mal obstinés.
Hélas ! hélas ! qui bien y penserait
Fier et hautain le pécheur ne serait.
 
Nul, quel qu’il soit, n’a le ciel hérité,
Si par vertu il ne l’a mérité ;
Car par avant que le ciel on hérite
Faut que premier précède le mérite ;
Ne pensons point l’acquérir autrement :
Sans ce point-là, on perd l’entendement.
Le bien vivant va à salvation,
Le mal vivant va à damnation ;
Rien n’emportons de ce monde terrestre.
Que le bien fait, et le corps en terre être.
 
Préméditant mes dessus dits propos,
En un matin, tôt après mon repos,
Ma plume pris pour mettre par écrit
Comme et comment Fortune m’a prescrit
Car tant ai eu sur ma personne envie
Que suis privé de tous biens pour ma vie ;
Et m’a contraint de me destituer
Du bien qu’ai eu, pour autre instituer.
Or, pour narrer ma fortune invincible
Est que j’ai mis en moi tout le possible
De fréquenter les gens dignes d’honneur,
Et supplier jésus, le grand donneur,
De me pourvoir ou de près ou de loin
De ce qui m’est nécessaire au besoin
A l’âme et corps, avant finir mes jours,
Et délaisser du monde les séjours,
Le requérant m’être miséricors
À l’âme plus qu’il ne convient au corps.
Nonobstant ce, ma requête signée
Encores n’est, n’aussi entérinée.
 
Las ! je ne sais si c’est pour mon péché
Que n’ai été ouï et dépesché,
Ou que mon cœur n’a voulu consentir
De ne fleurer ce qu’il devait sentir.
Or pauvreté joyeuse et volontaire,
Sûre vie est, et très fort salutaire,
Mais tant y a, avant que s’y offrir,
Comme l’on dit, elle est grive à souffrir.
 
Peu de gens a qui aujourd’hui la quièrent,
Ni de l’avoir le bon Dieu ne requièrent ;
Ce néanmoins, pour mon cas avérer
Délibéré je suis persévérer
De le prier de très bon cœur, afin
D’être pourvu de lui avant ma fin.
Plus ne me faut attendre à mes amis,
Décédés sont, et en la terre mis,
Qui m’a été une excessive perte
Que j’ai connu et connais bien aperte,
Car j’ai depuis leur trépas et décès
De pauvreté enduré les excès.
Nécessité tant m’a importuné
Que me voyant ainsi infortuné
Et dénué d’amis de grand’valeur,
Avec lesquels souventes fois va l’heur,
Avis m’est pris de tout point me tirer
Devers quelqu’un (et de moi retirer)
Plein de valeur et de noble vouloir
Qui puissance a de me faire valoir ;
Et lequel m’a doucement accueilli
Et de bon cœur reçu et recueilli
Dont et de quoi en rends grâces à Dieu,
Le suppliant lui donner place et lieu
Lassus ès cieux, au partir de ce monde,
Où tout soulas et toute joie abonde,
Et inspirer le dit seigneur prédit
De me pourvoir, comme autrefois m’a dit,
De quelque bien, sans y contrevenir,
Comme il verra, pour le temps advenir.
Faire le peut, s’il s’y veut employer,
Sans son trésor nullement déployer ;
S’il me fallait, je n’ai aucune attente
De nul qui soit, de quoi ne me contente.
 
Mais attendant sa grâce expectative
Pleine d’amour et très consolative
Je vacquerai en dévote oraison
Prier Jésus de lui toute saison
Si que de cœur et de bonne amitié
L’infortuné y regarde en pitié.
 

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