Paul Claudel

Connaissance de l'Est, 1907


Proposition sur la lumière

Je ne puis penser, tout, au fond de moi, repousse la croyance que les couleurs constituent l’élément premier et que la lumière ne soit que la synthèse de leur septénaire. Je ne vois point que la lumière soit blanche, et, pas plus qu’aucune couleur n’en intéresse la vertu propre, leur accord ne la détermine. Point de couleur sans un support extrinsèque : d’où l’on connaîtra qu’elle est, elle-même, extérieure, le témoignage divers que la matière rend à la source simple d’une splendeur indivisible. Ne prétendez pas décomposer la lumière : quand c’est elle qui décompose l’obscurité, produisant, selon l’intensité de son travail, sept notes. Un vase plein d’eau ou le prisme, par l’interposition d’un milieu transparent et dense et le jeu contrarié des facettes, nous permettent de prendre sur le fait cette action : le rayon libre et direct demeure invarié ; la couleur apparaît dès qu’il y a une répercussion captive, dès que la matière assume une fonction propre ; le prisme, dans l’écartement calculé de ses trois angles et le concert de son triple miroir diédrique, enclôt tout le jeu possible de la réflexion et restitue à la lumière son équivalent coloré. Je compare la lumière à une pièce qu’on tisse, dont le rayon constitue la chaîne, et l’onde (impliquant toujours une répercussion), la trame ; la couleur n’intéresse que celle-ci.

Si j’examine l’arc-en-ciel ou le spectre projeté sur une muraille, je vois une gradation, aussi bien que dans la nature des teintes, dans leur intensité relative. Le jaune occupe le centre de l’iris et le pénètre jusqu’à ces frontières latérales qui, seules, l’excluent au fur qu’elles s’obscurcissent. Nous pouvons appréhender en lui le voile le plus immédiat de la lumière, tandis que le rouge et le bleu en font, réciproques, l’image, la métaphore aux deux termes équilibrés. Il joue le rôle de médiateur ; il prépare en s’associant aux bandes voisines les tons mixtes et par ceux-ci provoque les complémentaires ; en lui et par lui, l’extrême rouge, combiné avec le vert, de même que le bleu combiné avec l’inverse orange, disparaissent dans l’unité du blanc.

La couleur est donc un phénomène particulier de réflexion, où le corps réfléchissant, pénétré par la lumière, se l’approprie et la restitue en l’altérant, le résultat de l’analyse et de l’examen de tout par le rayon irrécusable. Et l’intensité des tons varie, suivant une gamme dont le jaune forme la tonique, selon la mesure plus ou moins complète où la matière répond aux sollicitations de la lumière. Qui ne serait choqué de cette affirmation de la théorie classique que la teinte d’un objet résulte de son absorption en lui de tous les rayons colorés à l’exception de celui dont il fait paraître la livrée ? Je veux penser, au contraire, que cela qui constitue l’individualité visible de chaque chose en est une qualité originale et authentique, et que la couleur de la rose n’en est pas moins la propriété que son parfum.

 

— Ce que l’on a mesuré n’est point la vitesse de la lumière, mais la résistance seulement que le milieu lui oppose, en la transformant.

 

— Et la visibilité même n’est qu’une des propriétés de la lumière : diverses suivant les sujets différents.


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